SUR LE ZELE
SUR LE ZELE
SERMON POUR LA FETE
DE SAINT NICOLAS
Prononcé au Monastère de St.Nicolas de Pérerva , le 9 mai 1822
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Souvenez vous de vos instructeurs qui vous ont préché la parole de Dieu et, considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur foi. ( Heb. 13 : 7).
L'apôtre Paul adresse ces paroles aux Hébreux, c'est-à-dire à ceux des Hébreux qui s'étaient convertis au Christianisme, probablement à ceux qui vivaient en Judée. Il est donc permis de penser que les instructeurs dont il veut parler sont nommément les apôtres Jacques, frère de Jean, et Jacques, frère du Seigneur. Le premier mourut par le glaive qu'Hérode leva sur l'Eglise de Jérusalem, et le second fut martyrisé par Anne, grand prêtre des Juifs, et ses partisans. Il était tout naturel que les enfants de l'Eglise se souvinssent avec un vif regret de la perte si douleureuse de deux si grands instructeurs. L'apôtre cherche à redresser et à élever cette disposition d'esprit, en leur apprenant à se souvenir de la fin de leurs pieux instructeurs, non avec chagrin, mais avec vénération; non pour les pleurer, mais pour les imiter.
Souvenez-vous de vos instructeurs qui vous ont prêché la parole de Dieu, et, considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur foi.
Comme les apôtres disaient ce qui leur était enseigné par l'Esprit Saint, les enfants dociles de l'Eglise recevaient leurs instructions comme des lois, et mettaient leurs paroles en pratique. De là l'usage des Chrétiens de commémorer solennellement leurs instructeurs morts dans le Seigneur, et de s'instruire par leurs exemples lorsqu'ils ne reçoivent plus l'enseignements de leur parole.
Parmi ces instructeurs, les uns ont brillé par la parole de sagesse, les autres par d'autres dons spirituels, pour l'utilité de l'Eglise. L'instructeur que nous fêtons aujourd'hui, Saint Nicolas, s'est signalé particulièrement par une foi vive et par le zèle selon la foi.
Souvenez-vous donc de lui de telle sorte que ce souvenir vous soit un enseigenemnt, et que, par vos actes, vous imitiez son zèle selon la foi.
Le zèle est un feu spirituel. De même que la sagesse éclaire l'esprit, de même que l'amour échauffe le cœur, ainsi le zèle, qui est l'action combinée de ces deux forces, enflamme tout l'être dans lequel il se trouve. Il se manifeste en lui par une activité constante qui dirige puissamment vers son but tout ce qui lui est soumis, purifie tout ce qui est susceptible d'être purifié, démèle tout ce qui est confus, détruit tout ce qui est impur et corruptible, écarte et dissipe tout ce qui lui résiste. Ainsi l'Apôtre dépeint le zèle de Dieu lui-même, quand il l'appelle le zèle d'un feu qui doit dévorer ses adversaires (Hébr. 10 : 27).
A cette image, le zèle de l'homme, par rapport à la foi, est une qualité et une disposition d'esprit par lesquelles il s'efforce avec un désir ardent et l'activité la plus vive, de conserver, d'étendre, de purifier de tout mélange de superstition et de séduction la vraie foi qu'il a une fois connue et aimée, et, ou de gagner et de convertir ses ennemis, ou de les réduire à l'impuissance de lui nuire.
Le zèle selon la foi est la faim et la soif de la justice dans la foi, et autant il rencontre de foi conduisant à la justice, autant il s'en rassasie et en fait son bonheur; mais quand il ne peut pas rencontrer la foi conduisant à la justice ou bien quand il la voit affaiblie par la nonchalance des faux chrétiens, ébranlée par les dissensions, menacée de malheurs, alors il dévore (Jean 2 : 17) le zélateur lui-même. Salomon, dépeignant cette puissance ardente ou dévorante du zèle, dit : Le zèle est cruel comme l'enfer (Cant. 8 : 6). Il le compare à l'enfer, non que personne puisse être précipité par lui en enfer - car ce ne saurait être l'effet du vrai zèle, puisqu'il contient en lui l'amour - mais soit parce que, voyant les créatures bien-aimées de Dieu sur le chemin de l'enfer, et se représentant avec la plus vive compassion la mort qui les menace, le zèle ressent leur enfer en lui-même; soit parce que, mélangé d'une grande abondance d'amour, il est prêt à partager même l'enfer avec ceux pour lesquels il s'exalte, afin d'alléger leur sort et de les dérober au danger à son propre péril. C'est ainsi que l'Apôtre Paul, enflammé pour les Israélites d'un zèle divin, fut poussé à leur dire qu'il aurait désiré d'être séparé lui-même du Christ pour ses frères (Rom. 9 : 3), c'est-à-dire afin qu'ils crussent fermement en Jésus Christ.
Après cet exemple et d'autres semblables, quelques-uns penseront peut-être que ce saint zèle n'est pas une obligation commune et constante, mais un don envoyé d'en haut par la grâce à un petit nombre, pour certaines occasions particulières, lorsques des dangers extraordinaires de la foi exigent des efforts extraordinaires pour sa conservation et sa confirmation. Nous ne soupçonnerons pas un raisonnement de ce genre chez ceux qui sont refroidis dans la foi au point de n'en pas remplir les devoirs les plus ordinaires et reconnus de tous : comment chercher le zèle de la foi chez ceux dans les œuvres desquels on ne saurait trouver la foi elle-même ? N'y-a-t-il pas des gens qui attachent du prix à la foi, qui désirent en remplir, et font même quelques efforts pour en remplir les devoirs autant qu'ils les connaissent, mais dans le dénombrement des devoirs, dans la liste des vertus desquels ne se trouve pas le nom du zèle ? Ne pensent-ils pas que nous ne sommes point appelés à combattre l'opiniâtreté des Juifs par le zèle de Moïse, ou de Phinéès, ou d'Elie, parce que nous ne vivons pas au milieu des abominations du paganisme.
Sans doute, il n'est pas donné à chacun d'être un Moïse ou un Phinéès, un Elie ou un Paul, quand Moïse lui-même, dans une circonstance donnée, ne put pas être un Phinéès, ni Phinéès un Moïse. Mais si Moïse, dans une circonstance, et Phinéès, dans une autre, sauvèrent, par leur zèle, tout le peuple de Dieu, ne serait-il pas préférable qu'il y eût plus de pareils zélateurs ? Mais on peut voir déjà par là que si le saint zèle n'est pas une obligation indispensable, il est au moins une vertu désirable.
Mais examinons avec plus d'attention si nous ne trouverons par le zèle même parmi nos obligations indispensables. Que peut-il y avoir de plus indispensable et de plus universel que les obligations que Dieu lui-même nous a imposées par les dix commandements ? Je cherche ici la loi du zèle, et je n'ai pas besoin de pousser cette recherche au delà du premier commandement. Je suis le Seigneur ton Dieu, et tu n'auras pas d'autres dieux : entendez-vous dans ces paroles, en même temps que le commandement de la foi et de l'amour, le commandement du zèle ? Ecoutez judicieusement. Lorsque le Législateur céleste se déclare Seigneur et Dieu, Il proclame son autorité et demande notre soumission; Il proclame Sa grandeur et nous impose la vénération pour Lui. Mais quand il ne rougit pas, ainsi que s'exprime l'Apôtre sur ce même sujet (Hébr.,XI,16), de s'appeler notre Seigneur et notre Dieu, que montre-t-il en lui pour nous, si ce n'est l'amour, et qu'éveille-t-il en nous pour lui, si ce n'est l'amour ? En effet, que peut-il y avoir de plus rempli d'amour de la part de la personne qui parle que de dire, que peut-il y avoir de plus aimable pour celui qui écoute que de s'entendre dire : Je suis à toi ? Voilà donc le commandement de l'amour. Mais ensuite ? Tu n'auras pas d'autres dieux que moi. Qu'est-ce que cela veur dire, sinon que Dieu, après avoir établi entre Lui et l'homme une union d'amour, désire la fortifier et l'élever à un tel degré de perfection que cet amour exclue tout autre amour qui ne serait pas d'accord avec Lui et qui ne Lui serait pas soumis, ou, ce qui est la même chose, nous découvre son zèle et nous commande le zèle ? Voilà donc le commandement du zèle. Cette explication n'est point imaginaire, mais elle nous est donnée par l'Auteur Lui-même de la loi, dans la continuation du Dé-calogue : Car Je suis la Seigneur ton Dieu, le Dieu jaloux (Exode, 20 : 5).
Par là, il n'est pas difficile de comprendre que, de même que l'obligation d'être zélé pour Dieu et pour la foi en Lui incombe à chaque homme, ainsi cette obligation s'étend à tous les temps et à toutes les occasions, puisque le commandement du zèle est indisso-lublement lié, par le souverain Législateur, au commandement de l'amour pour Dieu, qui ne peut jamais souffrir aucune exception.
Mais pour voir de plus près, dans le fait même, jusqu'où peut et doit s'étendre le zèle saint, je demande : Fallait-il être zélé pour un culte qui, quoiqu'il eût été régulier et établi par Dieu, commençait déjà, selon les desseins de la Providence, à perdre de sa valeur et de sa signification, et devait bientôt disparaître complètement ? Combien âmes, n'étant pas embrasées du feu divin, penseraient pouvoir considérer avec une froide indifférence, sans manquer à leurs obligations, tout abaissement quelconque d'un pareil culte ! Quelques-uns ne penseront-ils pas que, dans un cas pareil, il serait même d'un zèle déplacé et déraisonnable de vouloir soutenir ce qui doit infailliblement être renversé ? Remarquez donc ici combien peut nous tromper une sagesse imaginaire, privée d'un vif sentiment du cœur, ou, pour mieux dire, la nonchalence couverte du voile de la sagesse. Ce n'est pas ainsi qu'a pensé, qu'a agi Celui qui est la sagesse même et en même temps l'amour même, et, par conséquent, le plus pur modèle du zèle. Le culte de Jérusalem, composé d'ombres et de figures, devait prendre fin lorsque apparut Jésus Christ, la lumière des ombres et la réalisation des figures; le temple lui-même devait être bientôt livré aux gentils pour être définitivement renversé. Cependant, que sentit à cette époque, que dit, que fit Jésus Christ, quand Il vit dans le temple des choses indignes du temple ? Il éprouva le sentiment que peint le Prophète : Le zèle de ta maison me dévore. Ne faites pas, dit-il, de la maison de mon Père une maison de trafic. Et en effet, il chassa les vendeurs du temple (Jean 2 : 14,17).
Vous voyez, Chrétiens, un exemple du saint zèle dans une occasion telle qu'il en faut conclure que jamais aucun de nous ne manquera d'occasions d'accomplir des actes de zèle. Et cet exemple s'adresse bien à tous : car Jésus Christ ne se conduisit pas, dans cette occasion, comme appartenant au temple, en vertu d'une obligation particulière, puisqu'il est connu qu'il ne se plaça jamais dans une pareille situation, mais que dans toutes les circonstances, pour l'accomplissement des obligations du culte établi, même lorsqu'il s'agissait des miracles, il renvoyait aux prêtres : il agit ici en vertu d'un zèle libre, commun à tous.
Et ainsi, Chrétien, si tu crois, et si tu veux être fidèle à ta foi, il faut aussi que tu sois zélé pour la foi. Ne t'en excuse pas sous prétexte que tu ne vois pas d'ennemis de la foi, et que tu ne rencontres pas de sujets d'exercer ton zèle. Jésus Christ trouva un sujet de zèle dans le temple même du vrai Dieu. Dans la vraie Eglise chrétienne aussi, se rencontre assez souvent ce qui dévore de zèle le Chrétien zélé.
Peut on voir de sang froid beaucoup d'enfants de la foi vivre dans une telle ignorance de ce en quoi ils croient, qu'on peut leur appliquer exactement ce qui a été dit aux Samaritains : Vous adorez celui que vous ne connaissez point (Jean 4 : 22) ? Si Dieu t'a donné la vraie lumière de la foi et l'intelligence du mystère du Christ, sois donc zélé pour eux, avec l'Apôtre, du zèle de Dieu (II Cor. 11 : 2), et souffre d'une souffrance salutaire, jusqu'à ce que Jésus Christ soit formé en eux (Gal. 4 : 19).
Ne rencontrons-nous pas des Chrétiens qui ne fondent leur droit de se nommer ainsi que sur l'accomplissement de quelques devoirs extérieurs, qu'ils embrassent entre autres à la légère, sans réformer intérieurement leur cœur, sans purifier leur conscience, sans élever leur esprit à la communion avec Dieu ? Si tu es chrétien, non pas seulement de nom, mais par l'esprit et la force, dis, ne fût-ce qu'à un de ces hommes, à celui que tu pourras : Pourquoi, étant chrétien, vis-tu comme un juif, ou même comme un païen ?
Il serait difficile d'en finir, si nous voulions continuer l'énumération des occasions semblables d'exercer un saint zèle, que peut trouver chaque jour un Chrétien attentif, vivant au milieu de Chrétiens semblables à lui. Mais n'allons-nous pas encore les chercher bien loin, quand nous les cherchons hors de nous ?
Regarde, Chrétien, dans ton propre intérieur, rentre en toi-même : ne trouveras-tu pas ici-même ce qui doit tu dévorer de zèle ?
Si ton esprit se laisse emporter à des doctrines étrangères et diverses (Hébr. 13 : 9), et ne veut pas se livrer au libre esclavage et à l'heureuse servitude de la foi, n'as-tu pas besoin contre toi-même du zèle des saints Pères qui, par la force de la foi, terrassaient l'orgueil s'élevant contre l'esprit de Dieu (II Cor. 10 : 5), l'esprit présomptueux des hérésiarques ?
Si l'intérèt ou la frivolité remplit ton cœur des objets du monde, et s'il en est plus occupé que du Dieu pour qui il a été crée, n'as-tu pas besoin alors contre toi-même du zèle de Moïse et d'Elie condamnant et renversant l'idolâtrie ?
Si tes sens sont portés aux plaisirs qui corrompent et souillent l'âme, n'as-tu pas besoin alors contre toi-même du zèle de Phinéès, afin, si cela est possible, de porter un coup décisif et de faire mourir les membres de l'homme terrestre, les passions et les désirs mauvais (Col. 3 : 5).
Brûle de zèle pour le Seigneur ton Dieu ( III Rois 19 : 10). Ce n'est pas à Phinéès seul que le zèle a apporté l'alliance du sacerdoce éternel. A nous aussi, si nous sommes de purs et fidèles zélateurs et défenseurs du royaume de Dieu en nous et en notre prochain, ce zèle apportera la promesse, ou mieux, l'accomplissement même de la promesse, et Jésus Christ nous fera rois et prêtres de Dieu son Père. A lui soit la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Amen (Apoc. 1 : 6).
Choix de Sermons et Discours de S. Em. Mgr Philarète, traduits du russe par A. Serpinet,
E. Dentu, Libraire-éditeur, Paris, 1866 to
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