« Quel bonheur d'être prêtre ! »

 



Son Eminence l'Archevêque Séraphim a été rappelé à Dieu le 11/24 novembre 2003, jour de la célébration de l'icône miraculeuse de la Mère de Dieu de Montréal.

« Quel bonheur d'être prêtre ! »

Nous proposons à nos lecteurs une interview donnée à « le Pasteur russe »

par l'archevêque Séraphim de Bruxelles et d'Europe de l'Ouest,

résidant en France auprès du monastère de Lesna.

La rédaction du journal « le Pasteur russe ».

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(suite du texte publié dans le n°33 de La Voie orthodoxe)

Pendant plus de quatre ans d'études aucun des étudiants (Boulgakov est décédé pendant la guerre) n'a entendu un seul de ses enseignements en chaire.

Non, le problème n'était pas le sophiologie, mais quelque chose de complètement différent : comme le tonnerre au milieu du ciel clair, le discours « La critique biblique de l'Ancien Testament » prononcé par le professeur A. Kartachev en février 1944, dans lequel il appelait à une autre approche des Ecritures Saintes afin que la science biblique soit élaborée grâce à une « méthode critique ».

Quand cette conférence fut publiée en 1947 à Paris, cette fois sous la forme d'un livre, elle subit la critique dévastatrice de l'évêque Nathanaël. Son long article scientifique détaillé sur ce thème aboutissait à dire que les problèmes soulevés par l'honorable professeur étaient intéressants mais qu'un lecteur orthodoxe ne pouvait souscrire à ses conclusions, malgré toutes les restrictions faites, et bien que les dites questions puissent être examinées dans l'atmosphère d'un bureau tranquille et uniquement ! L'article de Monseigneur Nathanaël se lit facilement, il est intéressant comme tout ce qui en général est écrit de sa plume. Tout est compréhensible, même si l'on n'a pas auparavant lu le livre du professeur Kartachev.

Mais encore une fois, bien que son livre ait été édité à Paris et avec un tirage suffisant, il me semble qu'il est resté l'apanage de cette même étagère poussiéreuse ! Autant que je me souvienne, aux conférences sur l'Ancien Testament ( le professeur était une autre personne), rien n'y faisait écho. Qu'en est-il maintenant, je ne le sais.

Dans une certaine mesure, même l'évêque et professeur Cassien (mais, comme l'ont remarqué beaucoup d'étudiants, ceci se passait avant son épiscopat) dans ses cours sur le Nouveau Testament accordait plus d'attention à l'autorité de l'école scientifique allemande de Tubbingen, qu'aux Saints Pères !

Pour l'archimandrite Cyprien, qui plaçait tout à fait haut le savoir de son collègue, l'autorité des Saints Pères était au-dessus de toute autre. Je me rappelle une anecdote. Les étudiants travaillaient le soir, soit dans les salles de cours, soit sous ces dernières, dans les dortoirs où il faisait plus chaud. Il n'y avait pas encore de charbon et nous nous chauffions avec un poêle qui se tenait dans le dortoir, et qu'il fallait alimenter en copeaux de bois.

Père Cyprien, apparemment fatigué par ses travaux de recherche nocturne dans son cabinet, descendait dans le dortoir des étudiants pour s'aérer. Il remarquait avec satisfaction quand quelqu'un travaillait avec application, mais il aimait aussi discuter. Quelquefois, cela donnait lieu à un monologue improvisé sur un sujet inattendu. Pour une quelconque raison, un jour nous nous mîmes à parler des Pères Saints et l'archimandrite Cyprien commença à parler avec inspiration de leur autorité. Le plafond du dortoir était tenu par deux colonnes, piliers. S'étant appuyé sur l'une d'elle, comme s'il l'enserrait, Père Cyprien conclut en disant : « oui, sur les Pères Saints, on peut et il faut toujours s'appuyer. Ce sont des piliers inébranlables. »

Quels géants spirituels avez vous rencontrés personnellement ou avez-vous lus ?

Je m'empresse de nommer le métropolite Antoine (Khrapovitsky). Non je ne l'ai pas rencontré, mais j'ai beaucoup lu sur lui, surtout ce que des gens qui le connaissaient bien

personnellement ont raconté de lui. Je n'avais alors qu'à peu près 12 ans, et pourtant j'ai été très impressionné par une telle personnalité, au début bien sûr comme un enfant peut l'être. Je connaissais un historien militaire assez jeune, Kersnovsky. Il était dans le corps des cadets, fréquentait assidûment les offices, priait avec nous. Apparemment, il remarqua làun garçon, qui servait et même lisait dans le chœur. Et voilà qu'un jour il m'offrit un recueil de textes choisis du métropolite Antoine, qui venait tout juste de sortir à l'occasion du 50ème anniversaire de son sacerdoce. Bien sûr, les articles ne s'adressaient pas à un jeune garçon (par exemple, L'idée morale de la Sainte Trinité, Données psychologiques utiles à une volonté libre et à une responsabilité morale), mais au début du livre il y avait une belle photographie du métropolite, assis avec au cou des croix, des panagia, et des décorations (qu'il ne mettait bien entendu que pour la photographie, il n'aimait pas les décorations en tant qu'attributs mondains ...). Le métropolite si vénérable est assis et sourit avec gentillesse... Par la suite, à l'âge adulte, je ne m'émerveillais pas tant sur la théologie du métropolite Antoine que sur l'homme lui-même, l'homme saint, l'archipasteur, s'occupant même d'affaires sociales (jamais cependant cela ne sortit en dehors du cadre de l'Église). Comme tout le monde sait, nous possédons à présent 1' ouvrage capital (17 tomes) sur lui de l'archevêque Nikone (Rklitsky). J'ai toujours regretté le titre malencontreux de cet ouvrage qui réduit fortement sa signification. J'aurais proposé au futur éditeur un titre du genre : « Le métropolite Antoine Khrapovitsky et son temps (1863 -1936) » . Oui, c'est un vaste écho de son époque : avant la 1ère guerre, avant la révolution, la guerre civile, le grand exode de l'émigration, un large regard sur toute l'émigration, sur l'activité ecclésiale.

Dans ces 17 tomes, je suis plus que tout ému par les épîtres du métropolite, ses décrets pour son éparchie, qui ont une grande importance, et puis aussi simplement par ses articles sur des thèmes très variés..

D'ailleurs, j'ai pour ainsi dire rencontré le métropolite Antoine, mais beaucoup d'années plus tard. Je pense que le chroniqueur futur en sera intéressé. L'éminent Abba est mort depuis longtemps, mais ses affaires personnelles nous sont restées... Dans le tourbillon de la guerre, invasion de l'Armée Rouge, la nouvelle émigration en Yougoslavie, il semblerait qu'il fût difficile de conserver quelque chose. Mais quelques objets ont été conservés.

Lorsque je suis devenu inopinément évêque, cela a coïncidé avec mon déménagement au monastère de Lesna, où je devais de toute façon me rendre en temps que prêtre, semble-t-il « à la retraite ». Mais cela se passa de façon un peu différente. Je devins évêque. Dans l'église du monastère on m'avait préparé sur le côté gauche du chœur un fauteuil, à côté duquel je pouvais me tenir et prier quand je n'officiais pas. À côté du fauteuil, il y a une table sur laquelle je peux chaque jour poser les livres liturgiques, afin de pouvoir suivre les lectures et le chant des canons. Avec le temps, je commençai à m'asseoir souvent et même lorsque l'on ne le devait pas... J'avais examiné depuis longtemps le fauteuil que l'on m'avait mis : il était large, confortable, mais monté sur des tiges en fer. Un jour, j'ai demandé à l'higoumène ou à des moniales âgées, qu'est-ce que c'est que ce fauteuil ? Il s'avéra qu'auparavant, en dessous il y avait des roulettes, pour pouvoir transporter celui qui y était assis. Et là j'appris que c'était le fauteuil de Sa Béatitude le Métropolite Antoine !

Comme l'indique sa biographie, dans ses toutes dernières années, on le déplaçait souvent en fauteuil et ainsi, il prêchait assis. Et voilà que c'est à moi, indigne, de m'asseoir dans le fauteuil du Très Bienheureux. Comment ce fauteuil était-il arrivé ici ? Je me rappelle, quand le monastère dans sa totalité a déménagé de la Yougoslavie de Tito pour la France, les moniales prirent tout ce qu'elles purent, jusqu'à la dernière théière ! Elles partaient pour l'inconnu, ne savaient pas ce qu'il adviendrait d'elles, comment continuer à vivre. Je me souviens, quand leur train arriva à la gare de Paris, nous mîmes beaucoup de temps à transporter tous leurs « biens ». En premier lieu, bien sûr, la sainte Icône de Lesna, d'autres icônes, des livres, de la vaisselle, des ornements etc. Au milieu de tout cela se trouvait le fauteuil, le trône du respecté et aimé Père.

Quels conseils donneriez-vous à un prêtre qui débute ?

On trouve de très bons conseils dans plusieurs manuels de théologie pastorale Parmi ces ouvrages, il y a le livre du professeur archimandrite Cyprien Kern, Le Service Pastoral Orthodoxe, qui a tout d'abord été édité à Paris en 1957 et maintenant réédité en Russie. Il existe encore quelques ouvrages excellents, même auparavant édites en Russie et déjà à notre époque. Depuis peu est sorti l'ouvrage de l'inoubliable archiprêtre Lev Lebedev : Remarques sur la théologie pastorale. Je connais beaucoup de prêtres actifs qui font des conférences ou interviennent dans des réunions sur ce thème... Il me semble qu'un jeune candidat à la prêtrise, (je ne sous-entends pas obligatoirement jeune en âge) ferait bien s'il se familiarisait avec la théologie pastorale à l'aide de nombreuses sources.

Dans tous les ouvrages de cette sorte, et chez d'autres auteurs respectables nous sont donnés beaucoup de conseils aux prêtres débutants.

Je peux seulement conseiller à un jeune prêtre de prêter attention à ce conseil tout à fait simpliste, si ce n'est pas cynique. De qui est-il ? Ne serait-ce pas du métropolite Antoine - cela lui ressemble. Quelque chose dans ce genre : « Sers, prie, célèbre les offices avec piété et ne sophistique pas ! »

Si par ces trois derniers mots on sous-entend le conseil de ne rien entreprendre, de ne pas s'élever avec humilité « de puissance en puissance », alors évidemment on nous dira qu'il n'y aurait jamais eu un pasteur tel que le Saint Juste Jean de Kronstadt. Mais justement, un jeune prêtre ne doit pas penser qu'il deviendra un tel « Père Jean de Kronstadt ». C'est-à-dire ne sophistique pas, n'aie pas une haute opinion de toi, comme quoi, voilà, tu vas tout de suite accomplir de si grandes choses ! Ne te crois pas supérieur. Tes offices et ton amour pour l'Église chacun pourra les estimer et même fermera les yeux sur certains échecs si tu aimes l'Église de Dieu et le service divin. Mais si tu t'exaltes, alors malheur à toi !

Comment prévenir les possibles erreurs d'un jeune prêtre ? À ce sujet, l'évêque Antoine de Genève d'éternelle mémoire m'a dit plus d'une fois (et j'ai toujours essayé de me tenir à cet avis), qu'ayant reçu la nomination à une paroisse, ne commence jamais par mettre en place de nouveaux usages, même s'ils sont bons, même s'il faut corriger un usage indésirable qui s'est enraciné au temps du précédent prêtre.

Au contraire, avec un respect et une admiration, bien sûr sincères, tu dois te comporter envers ton prédécesseur - qu'il soit en vie, à la retraite ou bien décédé. Si tu es sincère, alors tu ne feras que grandir aux yeux de tes paroissiens. Ils auront confiance en toi. Un an ou deux passeront et on peut alors avec précaution, petit à petit, améliorer quelque chose. Et fais en sorte de présenter cela non pas comme ta propre idée, mais comme quelque chose d'élaboré et pensé avec ces mêmes paroissiens !

Mais suivre une autre pratique - mettre en place en un jour immédiatement sa propre organisation (par exemple, suspendre les icônes d'une manière plus sensée, changer de place les lutrins, commencer tout de suite à servir en suivant sévèrement l'ordo etc....), même de bons élans - ce n'est pas le bon chemin et le prêtre lui-même se compliquera la vie, son activité future et troublera les paroissiens qui sont habitués à une organisation qui s'est mise en place depuis des années. Et surtout, cela lui enlèvera la possibilité d'améliorer plus tard ce qui existait auparavant...

Un prêtre-recteur ne peut éviter, à cause de son service, de faire des remarques quelque peu désagréables (des instructions ou des remarques bien-fondées) à l'un de ses paroissiens, que ce soit dans le domaine de la communauté ou personnel. Le faire précipitamment, en profitant du fait que cette personne est venue à l'office, n'est pas ce qui convient. Il vaut mieux aller tout spécialement rendre visite à cette personne dans son appartement, et discuter avec elle dans une atmosphère amicale et détendue. Et après avoir dit l'essentiel, il est bon de passer ensuite à un autre sujet, de raconter quelque chose ou de demander des nouvelles du travail, de la famille, de partager avec elle les projets dans le cadre de la paroisse et donner à son interlocuteur la possibilité de donner son avis à ce sujet. Un tel procédé apportera beaucoup plus de fruits qu'une remarque courte qui semblera abrupte.

Il n'est pas rare qu'un prêtre ait des difficultés de caractère personnelles - un surmenage, une dépression, un manque de conviction. Qu'est-ce qui peut aider le prêtre à se sortir d'une telle situation ?"

Ce thème est étudié dans beaucoup d'ouvrages consacrés à la théologie pastorale, mais je pense que le moyen le plus efficace, c'est que l'archiprêtre qui va consacrer, dans ses conversations avec le candidat, le prévienne à l'avance de ce qui peut lui arriver, ce à quoi il doit s'attendre ! Les premiers temps, habituellement, il y a un élan, un enthousiasme, un état d'esprit élevé et souvent, le zèle n'est pas à la hauteur des forces. Ensuite, il est inévitable soit de tomber en dépression, soit d'être désillusionné, de voir que tout ne va pas comme tu le pensais. Et justement, il ne fallait pas penser ainsi ! Il est entendu qu'un prêtre averti ne sera pas pris au dépourvu, mais se rappellera ce dont son archiprêtre l'avait prévenu. Savoir que même des pasteurs connus ont eu au début de telles difficultés peut aider le prêtre à surmonter les siennes. Nous rappellerons à titre d'exemple, le vénérable Païssy Vélitchkovsky. Dans sa jeunesse, dans son premier monastère, il avait toutes les données pour tomber dans un tel désespoir et tout quitter ! Le jeune garçon de seize ans, futur vénérable Païssy a commencé sa vie monacale comme novice. Le bon higoumène l'avait accueilli, le choyait, le consolait...

Le novice n'était effrayé par aucun travail, même le plus noir, le plus ingrat. Il ne dormait jamais toute la nuit, au milieu du travail difficile, il n'oubliait pas la prière. C'était l'enthousiasme de son premier élan. Il était heureux. Mais il arriva malheur aux frères de ce monastère - à la place du bon higoumène fut nommé un autre, un homme orgueilleux, sévère, exigeant à l'extrême et de surcroît injuste.

Presque tous les frères partirent. Peu restèrent, ceux qui avaient un peu plus de patience. Parmi eux se trouvait Pierre Vélitchkovsky, le futur Païssy. Mais il endurait, il endurait, et il finit par perdre toute force. Sa patience étant épuisée, le découragement arrivait et il décida de fuir ce monastère. Il entra une dernière fois dans l'église, pria, demanda au Seigneur de lui pardonner, à lui et à l'offenseur. Et il se sauva avec sa besace sur l'épaule. Il atterrit dans un autre monastère en Russie, puis dans un autre encore, et enfin s'installa en Athos, ou rapidement se répandit la nouvelle qu'un jeune homme ascète en paroles, menait une vie ornée d'exploits merveilleux.... Ainsi, « de puissance en puissance » a grandi, au gré des tentations, le futur grand starets Païssy.

Et maintenant, imaginons qu'il se soit abandonné au découragement, qu'il ait cédé aux difficultés, qui sont somme toute temporaires ! S'il avait tout laissé, alors nous n'aurions pas de grand starets Païssy, et son remarquable apport au trésor spirituel de l'Eglise...

Il en va de même à l'apparition des premières afflictions chez un jeune prêtre, qui peuvent si l'on n'y met pas un terme, compromettre sérieusement son futur travail pastoral - s'il laissait cours à son chagrin, après les premiers enthousiasmes et élans...

Car beaucoup d'afflictions dans une paroisse, qui semblent tout d'abord essentielles, importantes, de tout premier plan, au bout d'un an et peut-être moins, tomberont dans l'oubli, personne ne s'en rappellera.

Mais le prêtre n'a pas dans sa paroisse, comme pour Pierre Vélitchkovsky, un higoumène méchant et têtu. Le rôle du méchant higoumène est largement tenu par ... certains paroissiens, surtout lorsque la paroisse est peu importante. Au milieu de milliers de paroissiens, il y aura deux ou trois paroissiens de cette sorte dans la masse. Mais dans une petite paroisse, ils peuvent tenir une place importante.

Qu'ils se souviennent de la méchanceté de l'higoumène têtu envers le jeune et futur starets, et qu'ils pensent à la responsabilité qu'ils prennent lorsqu'ils compliquent la vie du prêtre qui est dure déjà d'elle-même sans leur intervention.

Sur quels principes d'éducation fondez-vous vos relations avec les enfants et les jeunes ?

Je ne suis pas du tout un « spécialiste » en la matière. Je me rappelle un très bon exposé sur l'éducation de la jeunesse faite par notre Monseigneur Antoine de Genève « Nos remplaçants » (publié dans Le Pasteur Russe n°10/1991 -red.). Il y a peu dans Le Pasteur Russe, l'archiprêtre Vladimir Morine a traité cette question de manière tout à fait exhaustive (N°33-34/1999). Tout de même, je vous dirai que j'essaie de m'en tenir au principe de prendre « au sérieux » chaque jeune, adolescent, même un enfant. Souvent des jeunes, des enfants m'écrivent et je leur répond en détail et vite. J'essaie de répondre du même ton, souvent j'embellis les lettres soit par des choses découpées soit simplement je joins à la lettre ce qui me semble pouvoir les intéresser. Le contact doit être personnel (et non pas une réponse bureaucratique), mais il ne faut pas non plus écrire « du haut de son grade épiscopal ». Je réponds à toutes leurs lettres « futiles » (je ne pense pas que le temps employé est du temps perdu en vain) et aux lettres très sérieuses, dans lesquelles les jeunes me posent des questions qui les touchent - les posent avec pleine confiance.

L'un d'eux m'écrit d'un pays éloigné qu'il est inquiet des relations dangereuses que l'Église Hors Frontière entretient avec celle d'Ukraine. Il se trouve qu'il a un grand-père prêtre ukrainien. Alors il m'a fallu expliquer qu'au fond, il n'y a pas eu une Eglise d'Ukraine pendant les 50-60 dernières années. On comprendra donc que l'on doit se comporter avec circonspection envers des quelconques groupes... Il a fallu l'écrire dans un style compréhensible pour l'adolescent, et ceci sur 2 ou 3 pages...

Un jeune garçon, élève d'un collège français catholique nous a raconté que ses camarades l'importunaient parce qu 'il « faisait son signe de croix à l'envers » ... Il fallut alors de nouveau répondre en détail, que la question de savoir qui se signe correctement ou non , c'est « une question à double tranchant ». Par exemple, je lui ai rappelé que l'évêque de Rome au début du XIII-ème siècle, le pape Innocent III, dans son ouvrage Sur les mystères du saint autel, (on le trouve dans les célèbres tomes Migne) explique en détail comment il faut se signer et pourquoi, et ensuite il ajoute comment il ne convient pas de se signer, car cela n'est pas correcte. Ainsi cette autorité pour les catholiques-romains explique au début du XIII-ème siècle, qu'il faut se signer justement de la façon dont nous orthodoxes nous nous signons jusqu'à ce jour ! Et il condamne la manière dont se signe les catholiques-romains de nos jours.

La confession des enfants est très importante, il lui faut une approche particulière...Je pense que chaque prêtre de paroisse quand il connaît mieux ses fidèles, élabore avec le temps sa méthode. Pour les débutants, il faut se limiter à des questions simples et plus encore à des conseils simples. Ce qui est publié, par exemple, dans le « Livre de chevet » de Boulgakov, n'est pas du tout mauvais, ni suranné - « Questions sur la confession des jeunes gens » et aussi à part : « sur les très jeunes enfants ».

Je ne me suis jamais cantonné à une frontière précise entre « plus ou moins de sept ans ». Certains dès six ans et demi peuvent déjà s'approcher de la confession, et il arrive qu'à sept ans et demi on soit encore un véritable petit enfant ! Mais ce qu'il ne faut assurément pas faire, c'est de questionner de façon trop précise les adolescents sur certains côtés intimes de leur vie et de leur comportement. Se limiter, quand il le faut et si cela semble possible, à des conseils : « n'oublie pas qu'on ne doit pas faire ceci et cela, et voilà pourquoi », par conséquent, absolument sans questionner ou interroger les enfants.

La prochaine fois, lorsque l'adolescent ayant vu que la confession n'est pas un tribunal d'inquisition, et que le prêtre n'est pas un juge inquisiteur, mais un « docteur » et un ami, dira alors de lui-même, sans peur et avec confiance ce qu'il faut. Je connais plusieurs cas où des prêtres sans expérience ont débuté avec des adolescents, dans la pratique catholique-romaine semble-t-il, en les questionnant sur tout dans les moindres détails, après quoi de tels adolescents ont refusé complètement d'aller se confesser...

En conclusion, que souhaitez-vous aux lecteurs du « Pasteur russe » ?

Ce qui se trouve ci-après n'est pas destiné à tous les lecteurs, mais à ceux qui se plaignent des difficultés propres à notre époque dans la vie ecclésiale et spirituelle.

Les uns se plaignent de la langue liturgique : « Pourquoi le Père utilise-t-il pendant les offices la langue du pays ? » D'autres au contraire, se lamentent : « Pourquoi y a-t-il si peu dans la langue du pays ! Nos enfants, et nous-même ne comprenons ni les lectures, ni les chants dans l'église, ni les homélies ». Certains ne pensent qu'à passer au calendrier civil : « Nos enfants ne peuvent jamais venir aux offices des fêtes, pourquoi créer tant de difficultés?... »

Ici, au monastère de Lesna, viennent souvent désormais des pèlerins de l'ancienne URSS et pour la première fois apprennent ici ce que c'est que l'Église Russe Hors Frontière, le sergianisme etc : « Oh ! comme c'est difficile pour nous, nous retournerons à la maison ensuite, que faire ? Pourquoi tant de difficultés, ne serait-il pas plus simple de faire ceci ou cela ?... » Pour d'autres les carêmes de l'Église Orthodoxe sont pesants, il est fâcheux que les mariages ne soient pas autorisés tous les jours... Mais qu'est-ce qui n'est pas difficile encore ?

En un mot : tout est difficile ! On comprend ce dont nous prévenait l'apôtre Paul : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus Christ, seront persécutés » (2 Tim 3,12). Seront persécutés non seulement par la force des armes ou l'arbitraire administratif, mais tout l'entourage et les conditions de vie ont été créés, sont créés et seront créés afin de compliquer la vie du chrétien, quand tout autour de lui le poursuit et le gêne, lui qui veut « vivre pieusement en Jésus Christ ». Le Christ n'a pas dit en vain, que la foi en Lui est un « joug », et aussi un fardeau ».

J'ai énuméré ci-dessus quelques difficultés contemporaines, de ce qu'on pourrait appeler suivre « dans la vie courante » le Christ. Mais ce n'est pas tout. Le vénérable Séraphim de Sarov a parlé aussi des difficultés intérieures (cf. sa Conversation avec Motovilov). Voilà comment il est difficile d'être chrétien orthodoxe !

Et cela a toujours été difficile, de intérieurement comme extérieurement. Par exemple, les apôtres ont été persécutés par les juifs et par les païens. Ensuite le gouvernement au pouvoir persécutait les chrétiens. Et plusieurs générations de suite ! Si tu es croyant , prépare-toi à aller au Colisée pour te faire mettre en pièces par les animaux sauvages. Tu veux assister à une réunion de prière en commun dans les catacombes pour « rompre le pain », c'est-à-dire pour une liturgie - on peut l'arrêter ! Plusieurs générations de chrétiens ont vécu sous le joug et les attaques des infidèles - les Sarrasins, les Turcs, et les Arabes et les Mongols ...Combien de siècles l'Église a-t-elle été tourmentée par les hérésies et les schismes, et il fallait toujours (et les membres de l'Eglise le faisaient !) discerner où était la Vérité, où elle n'était pas... Et, là encore, il était difficile d'être un croyant chrétien orthodoxe ! Ils sont encore vivants, les gens qui peuvent se rappeler les difficultés endurés par les croyants dans les conditions du régime soviétique.

Oui, c'est difficile. Partout et toujours difficile. Tout est ardu : et croire est ardu et accomplir les commandements est ardu et de suivre toutes les fêtes, et de respecter les carêmes... Croire en général est difficile, les Évangiles sont difficiles et aussi les Commandements du Seigneur... A certains un fardeau semblera plus léger, pour d'autres, justement c'est celui-là même qui est le plus pesant ! Oui , tout cela est véritablement un joug et un fardeau ! C'est pourquoi, quand les chrétiens orthodoxes d'aujourd'hui considèrent, on ne sait trop pourquoi, comme inadmissible toute difficulté dans l'accomplissement et la confession de la foi, cela sonne bizarrement à l'oreille. Quand un orthodoxe de nos jours pense qu'il peut l'être seulement à la condition que cette foi ne l'inquiètera ni ne le gênera, on peut s'interroger : cet homme est-il croyant ? Quand un chrétien orthodoxe contemporain refuse dans le domaine de la foi de faire tout effort, alors on peut là encore être perplexe.

Quand tu entends par exemple qu'il a du mal à respecter toutes les fêtes ou à écouter au cours d'un office une litanie qui ne soit pas en slavon, ou à fêter le jour de la Sainte Résurrection « pas comme les autres », ou encore à être pleinement conscient que la question du sergianisme en Russie n'est pas résolue et beaucoup d'autres choses, alors une fois de plus tu es embarrassé : est-il possible qu'il n'y ait que cela qui lui soit difficile ? Et toute l'autre partie de la vie chrétienne est-elle facile ? Tout est difficile pour chacun de nous ! Toute l'année chrétienne est ardue, toute la vie du croyant sur la terre est ardue ! Rappelons-nous donc le Père Dimitri Doudko (qui pendant la période soviétique a été un confesseur de la foi). H a un jour écrit ou expliqué à ses auditeurs, que « le christianisme ne doit pas se limiter en quoi que ce soit, il doit être le contenu de toute la vie ». Et plus loin : « ...si ton christianisme n'est que cela, entre autres (c'est-à-dire sans difficultés), alors ton christianisme ne vaut pas grand chose... »

« Si quelqu'un veut Me suivre - dit le Seigneur - qu'il renonce à lui-même » (Marc 8, 34). « Qu'il renonce à lui-même » : rejette ou place au deuxième plan (non pas au premier) ses habitudes, ses penchants, son confort. Les habitudes personnelles, familiales, sociales et de même les inclinations au confort, la paresse à faire des efforts, à sacrifier ses habitudes pour le bien de l'Église... Rappelons-nous qu'être un chrétien orthodoxe est dans l'ensemble difficile, par sa qualification même, et qu'il en est ainsi depuis déjà 2000 ans!

Merci, Monseigneur !

Un entretien du Père Pierre Perekrestov avec l'Archevêque Séraphim

pour le journal « Le Pasteur Russe », n°36, 2000

Traduit du russe par C. Savykine

 

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