Notes sur l'Ermitage d 'Optino. Remarque préliminaire : Ces notes ont été prises par une visiteuse anonyme avant qu'Optino soit rendu à l'Eglise. Elles témoignent de la désolation spiri-tuelle mais aussi de la soif intérieure qui caractérisent la Russie aujourd'hui. *** Optino - 1956 L 'apparence extérieure en est - tout simplement effrayante. Les cathédrales sont non seulement sans croix, mais aussi sans faîte. Les temples de Kazan et de Marie l 'Egyptienne, invisibles de loin, ne sont plus que charpentes sans toits. On ne voit que celui de la Présentation; là, et là seulement, l 'Uil retrouve des lignes caractéristiques : toit arrondi, petites colonnes sur lesquelles se trouvaient les coupoles. L 'ensemble est en décrépitude, on voit que nulle main n 'y a touché depuis ces temps-là, et ceci est précieux. Le plâtre s 'est écaillé, la partie en fer du toit est arrachée, il y pousse des arbres et de l 'herbe. L 'enceinte devant le monastère a presque disparu, sauf quelques pans isolés. Seule la tour de gauche est debout... Les ventaux de la porte du monastère n 'ont plus de faîte, et la partie inférieure droite est cassée. Les portes elles-mêmes, la loge, sont toujours là, on peut entrer, on voit les restes de l 'escalier, enfoncés en terre et recouverts d 'herbe. Mais il est impossible de monter dans le monastère par l 'escalier. Il est tout d 'abord barré par un stock de foin, et l 'arc porte-cloches muré par des briques. J 'ai compris qu 'il y avait eu là deux corps de bâtiments sur les côtés, et maintenant ils sont reliés. Il ne reste plus trace des cloches-tours. Le côté droit du mur avancé du monastère, à droite des portes saintes et jusqu 'à la tour d 'angle du sud, a disparu. Là, vers la droite des portes saintes, il y a un chemin, ou plutôt un sentier. Je le pris. Dès l 'entrée, la vue générale n 'est que ruines. Un petit coin de la maison a été restauré. Le reste s 'écroule. Il n 'y a plus de perron, il tient à peine, en pente fortement inclinée. Voilà l 'apparence des bâtiments. L 'église de l 'hôpital a complètement disparu. Il n 'y a plus de cimetière, seulement une plate-forme. Je suis entrée et me suis dirigée vers les tombes des startsy. Il n 'y en a plus trace. Devant l 'autel même de la Cathédrale de la Présentation, passe une route. L 'emplacement des tombes est simplement recouvert d 'herbe, le chemin ne passe pas dessus. Lorsque j 'y entrai la première fois (seule), je n 'osai m 'arrêter, ne sachant pas si cela était autorisé, c 'est pourquoi je ne fis que passer et je sortis dans le bois, par le mur de derrière, dont il n 'y a plus que des restes, mais malgré tout, il est là. Etant sortie, je vis devant moi dans le bois des sortes de maisonnettes blanches. Je n 'ai pas pensé au skyte. Il me semblait qu 'il était plus loin, et je savais qu 'il se trouvait derrière le bois touffu. C 'est pourquoi j 'en conclus que c 'était quelque chose de nouveau, et je pris plus à droite sur la route. J 'allais, j 'allais, mais il n 'y avait rien. Je revins vers les maisonnettes et compris que c 'était là le skite, mais le bois entre lui et le monastère avait été simplement coupé. Je m 'approchai du portail - des marches en demi-cercle, en fonte ouvragée, portail ouvert, au-dessus, en demi-cercle une inscription : J 'entrerai dans Ta maison, je saluerai Ton Saint Temple. Elle est intacte, tout à fait lisible. On voit qu 'elle avait été blanchie, mais tout cela s 'était délavé. Silence total. Pas une âme. Je montai sur ces marches, j 'entrai par le portail. Des fleurs noyaient tout. Au milieu, une église en bois, mais sans coupole. Toutes les maisonnettes sont en bon état, sans barrières. J 'allais plus loin et faillis monter sur une chienne et ses petits. Elle se jeta férocement sur moi, je n 'eus que le temps de sauter dans le bois à droite, entre les maisonnettes. J 'ai oublié de dire que le clocher-tour n 'a plus de faîte, il est recouvert d 'une peinture blanche qui s 'écaille, au travers on aperçoit la peinture rose primitive. Pas d 'icônes. La petite chaumière est debout, en bon état. Sur le portail pend une enseigne : « Maison d 'enfants spécialisée». La fois où j 'étais allée seule, j 'avais vu les choses ainsi, rapidement. Le chien m 'a chassée. Son attaque fut la goutte de trop. J 'étais terrassée par l 'horreur de la destruction, et le chien fut la dernière goutte. Je m 'en retournai en longeant le mur du nord, par la route. Ce mur est intacte, et la tour de derrière, au nord, est même rénovée. La Jizdra a changé. Dans mes souvenirs, elle était plus embroussaillée, ainsi que sur les images. Mais maintenant, du bord opposé, tout le monastère est à découvert. Il n 'y a pas d 'arbres devant, sur la rive. Mais la Jizdra quant à elle, est magnifique. Tu sens que pour elle, la vie actuelle qui l 'environne n 'existe pas, ses eaux portent toujours l 'esprit d 'avant. Les regarder, les écouter, on le peut sans fin, et l 'on n 'a pas envie de partir. Au-dessus de l 'eau, des buissons de saules. A l 'emplacement du bac, tout simple et abîmé, un vieux pont de bois. Lorsque je vins une seconde fois à Optino, (avec les moniales), il s 'est avéré qu 'on pouvait s 'y déplacer tranquillement, sans rien craindre. Elles en connaissaient la moindre parcelle. Nous sommes allées d 'abord dans l 'Eglise de sainte Marie l 'Egyptienne. Nous entrons. La première chose que je vois, c 'est saint Jean le Précurseur, sur le mur, à l 'intérieur de l 'église. Il est représenté tout simplement sur le mur du nord, et au delà, tout est décoré. Tout est en bon état, frais, propre. Mais il n 'y a pas de toit, même pas de plafond; au-dessus, le ciel. A l 'intérieur de l 'église, de jeunes garçons rangent du bois, remettant en ordre un gros tas jeté là. Mes compagnes de route sont entrées sans crainte. Elles vénèrent les icônes, lisent ce qui est écrit. Les jeunes nous entourent. Visages graves, ils écoutent les récits. (ils avaient environ 17 - 18ans). Et aucun ne se met à rire ni ne se permet un mot déplacé. « Qu 'est-ce que cela veut dire ? Que de fois avons-nous blanchi les murs, mais la peinture ne tient pas ! et toutes les images ressortent à nouveau ! » Les moniales me dirent que là se trouvait l 'église d 'hiver, mon-trèrent comment se tenaient les moines, et comment tout se passait. Puis nous sommes allées à la Cathédrale de l 'Entrée au Temple. Je restai à l 'extérieur. L 'intérieur était rempli de toutes sortes de machines (on donnait là des cours sur les tracteurs). A l 'empla-cement de la cathèdre, on avait percé une porte. Celle-ci était ouverte, et l 'on voyait aussi une machine à la place de l 'autel. Je n 'y jetai pas un Uil ni n 'entrai. Et sur la rue (côté extérieur des murs), à droite et à gauche de la cathèdre, étaient peints deux Evêques. A gauche saint Nicolas, tout à fait nettement visible. On remarquait qu 'il avait été barbouillé, et avait même reçu des coups pour le détruire, qu 'on l 'avait gratté, mais il est resté parfaitement clair des pieds à la tête, et même le visage. Très impressionnant ! Mais l 'autre Evêque, à droite, a complètement disparu. On ne voit de cette icône, représenté au sommet, que le Sauveur donnant Sa bénédiction. Je ne sais pas, peut-être n 'y avait-il pas là d 'Evêque. Il ne reste rien. De là, nous nous sommes rendues à l'église de la Vierge de Kazan. Tout l 'intérieur en est blanchi. On a pu seulement me montrer l 'emplacement exact où reposent les Pères Moïse et Antoine. Là, on rénove. On refait le plafond. Il n 'y a pas de plancher ni dans l 'une, ni dans l 'autre de ces églises. On y marche à même la terre. Ici, à l 'emplacement de la cathèdre, transparait l 'Image de la sainte Mère de Dieu de Kazan. Elle produit un effet très fort. On voit qu 'on a voulu assidûment la détruire. Patiemment, en l 'écorchant morceau par morceau. Mais elle est visible, et regarde. L 'Image est magnifique, infiniment triste. Le tropaire, au-dessous, n 'est pas touché. De là, nous avons continué jusqu 'aux tombes. Le chemin pierreux est en bon état; les moniales déterminent exactement, grâce à lui, les emplacements des tombes des Startsi. Il y pousse des pâquerettes, et une autre herbe aussi. Un peu plus loin, on a planté de jeunes tilleuls. A un endroit, une fosse est creusée, d 'une profondeur de cinquante centimètres (comme si on avait voulu y enfoncer un poteau). Je pris de la terre de cette fosse. Les jeunes demandent : « Pourquoi tous ceux qui viennent, arri-vent immédiatement à cet endroit, se mettent à prier et se prosterner à terre ? » Les moniales leur parlèrent des Startsi. Ils écoutaient très attentivement, tout songeurs; ils avaient de bons visages. Puis nous sommes allées au skite, par le chemin empierré qui y menait avant. Les arbres sont rares. On y voit d 'énormes souches séculaires. Le puits du Père Ambroise est en bon état. Nous avons apporté mon bol, nous nous sommes lavées, nous avons bu. Dans le skite, elles ne m 'ont montré que la petite fenêtre de la cellule du Père Nectaire. Je regardai au travers. Je vis le poële, aux vieux carreaux de faience à lisières bleus, avec au milieu, je crois, une petite fleur. Au dessous cette fenêtre et même de la maison pousse l 'herbe des dents-de-lion. Je vous en ai arraché et envoyé. La chaumière est crépie extérieurement. On me dit que cela date de ce temps-là. Tout est d 'avant, intouché, intact. Je suis restée un moment assise sur le perron. Je vous ai envoyé un morceau de ce crépi. De là, on m 'emmena à nouveau vers le monastère. Les moniales voulaient aller jusqu 'à l 'hôpital, elles y avaient travaillé auparavant. La tour arrière du sud a été rénovée, ainsi que le bâtiment de l 'hôpital. Je compris que là aussi il y avait un cimetière, devenu complètement plat et envahi par l 'herbe. Puis, nous sommes allées au puits du Bienheureux Pafnouti Borovski. Et c 'est tout. Entre Optino et Kozelsk, il y a toujours la même prairie. Rien n 'y a été construit. Autour de l 'hermitage non plus. Il se dresse solitaire. Plus à droite, à environ un demi-kilomètre, le bois est traversé par une chaussée qui conduit vers une mine. Et là-bas aussi, un pont tra-verse la Jizdra. Il y passe des voitures; mais à Optino, c 'est le silence. Bien que remplie de crainte, je voudrais me permettre d 'oser décrire Optino. Je ne suis pas douée, en général, pour ces choses; mais voilà ce qui m 'advint là-bas : je ressens les startsi d 'Optino comme s 'ils étaient vivants. Je les sens présents. Cela ne s 'est pas manifesté lors de ma première visite. Je vous avais écrit que mon âme me disait le contraire, que l 'esprit des startsi s 'en était allé, qu 'il était impossible de croire à la présence de leurs reliques, sous cette terre. Il en avait été alors ainsi. Je ne pouvais regarder Optino, tellement j 'avais mal, parce que je ne voyais pas l'Ermitage, mais ses ruines. Mais maintenant en moi tout s 'est métamorphosé. Ayant reçu de ce lieu une aide si grande, j 'ai ressenti alors clairement, que les startsi sont là-bas, et aussi leur puissance. Immense sainteté de ce lieu. Aujourd 'hui, lorsque je me retrouve là-bas, je ne suis pas du tout gênée que l'Ermitage n 'existe plus, ou plutôt n 'existe pas, mais se trouve comme par-dessous l 'autre. Cela s 'est en quelque sorte uni à Optino. Je la sens vivante dans cette apparence. J 'ai peur d 'écrire, parce que ceci est très saint, et moi totalement pécheresse. Mais c 'est à vous que je l 'écris. Peut-être alors ne sera pas péché, cette liberté que je prends d 'en parler. J 'y sens une sainteté incomparablement plus grande que dans les églises actuelles où elle est limitée par d 'innombrables facteurs n 'ayant avec elle rien de commun. Mais ici, rien ne la cache, elle est vivante. L 'oeil de Dieu est dans chacun de ces débris. (....). L 'icône de la Mère de Dieu de Kazan est restée, à hauteur de la cathèdre, à l 'extérieur, sur la rue. Je ne peux la comparer à aucune autre que j 'aie pu voir. On ne peut trouver les mots pour la décrire. Les mots sont dépassés. C 'est Dieu. C 'est d 'une telle force, un abîme de douleur. On voit plusieurs essais de destruction (...). Il en est résulté une Icône d 'une telle puissance, qu 'il est effrayant de rester auprès d 'elle. Elle te regarde droit dans l 'âme. Elle est inoubliable... J 'étais avec N. Elle n 'avait même jamais rien lu sur Optino. Au début elle ne voulait même par y aller avec moi. Je ne lui en ai pas dit un mot, je l 'ai simplement et en silence amenée jusqu 'à ce lieu. Je ne lui ai pas parlé de mes sentiments. Et elle m'a décrit exactement ce que je ressentais moi-même; mais elle, en beaucoup plus fort, parce qu 'elle est quelqu 'un de très bien. Elle ne pouvait regarder l 'icône, elle restait là debout, et pleurait. Tout est vivant, réellement, la très grande puissance de prière de la Mère de Dieu, affligée, comme elle peut l 'être vraiment aujourd 'hui pour le monde. (...). Ici, la force divine n 'est pas enfermée, elle est à découvert. Les âmes la touchent directement. Et maintenant, ces débris ne m 'empêchent pas de voir Optino, comme cela avait été le cas la première fois. Maintenant je vois en eux Optino vivant, telle qu 'il est en ce moment. Ce n 'est pas le souvenir d 'Optino, c 'est Optino en vie. Quelle puissance ! Elle pénètre droit dans l 'âme, s 'y infiltre partout, et tout ce qui est autour et s'y fait n 'a aucune importance et ne gêne nullement. Peut-être même cela augmente-t-il cette force et se met-il à Son service. A l 'intérieur de l 'église de Kazan, à l 'autel, des fresques sont restées : descente de la Croix, prière du Christ au sujet de la Coupe. Les visages se sont conservés. Leur force est immense : la souffrance. Il n 'y a plus de tombes. On les détermine par le chemin pierreux. On peut y stationner. Ni cet été, ni aujourd 'hui, personne ne s 'est permis à mon égard un mot déplacé. (....) Dans l 'Eglise de sainte Marie l 'Egyptienne, il n'y a même pas de toit : le ciel ouvert. A ce que m'ont raconté les jeunes, on avait beau blanchir, la peinture ne tenait pas sur les murs. Là, rien n 'a été arraché. Toutes les peintures sont comme fraîches. En hiver nous n 'y sommes pas entrées, c 'était fermé. A travers la fenêtre, nous avons vu sur le mur de garde, en haut, saint Jean le Précurseur, comme fraîchement peint, et le Sauveur venant au secours de Pierre sur la mer, et bien d 'autres choses encore (....). Le skite se voit entièrement. L 'église est intacte, mais sans croix. (....). On voit que le skite est entretenu. En été tout était noyé sous les fleurs. L 'arc du portail est consciencieusement blanchi, mais au plafond, à travers toute l 'épaisseur de la peinture, apparaît très nettement un triangle, et à l 'intérieur, un mot : "Dieu " (...)
Zapiski ob Optinoï poustyni pp. 315-324 Nadejda, vol 15 Zurich-Mulhouse Traduit du russe par N.M.Tikhomirova. |
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