L’Eglise Russe Hors-Frontières par Saint Jean de San Francisco, alors Archevêque de Bruxelles et d'Europe Occidentale

 


L’Eglise Russe Hors-Frontières
par
Saint Jean de San Francisco,
alors Archevêque de Bruxelles et d'Europe Occidentale

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L’Eglise Russe Hors-Frontières est une partie de l’Eglise russe, se trouvant en dehors des frontières de l’Etat russe et actuellement présidée par un premier hiérarque et un synode des évêques, constitué par l’assemblée des évêques de la diaspora russe.
Voici déjà près de deux siècles qu’une partie de l’Eglise russe se trouve à l’étranger.  L’enseignement du christianisme aux peuples païens de l’Asie a suscité la création de Missions, devenues avec le temps des diocèses en Chine et au Japon.  L’évangélisation de l’Asie se poursuivit par la propagation de l’Orthodoxie parmi les populations païennes des Iles Aléoutes et de l’Alaska, par la création d’une Mission pour l’Amérique du Nord et ensuite d’un diocèse.  En Europe Occidentale, à partir du 18e siècle, on se mit à construire des églises auprès des ambassades russes dans un premier temps, et par la suite dans les lieux fréquentés par les Russes à l’étranger. Toutes ces églises étaient considérées comme ressortissant du diocèse du métropolite de Pétrograd et, à la fin, dépendaient directement de son vicaire, l’évêque de Cronstadt.  Aucun des patriarches orientaux, dont l’autorité était grandement respectée par le peuple russe, comme aucun des autres chefs des Eglises orthodoxes n’a jamais protesté contre cette extension de l’Eglise russe.  Si, d’après les canons de l’Eglise, un délai de trente ans est suffisant pour qu’une église ou un endroit soient considérés comme appartenant au diocèse auquel ils ont été soumis pendant toutes ces années, on doit d’autant plus reconnaître comme indiscutables les droits de l’Eglise russe sur ces lieux qu’elle a entretenus pendant de nombreuses dizaines d’années. On peut dire avec certitude qu’une telle question n’aurait jamais été soulevée si l’Empire russe, et avec lui l’Eglise russe, avaient gardé toute leur puissance et leur gloire et n’avaient pas été frappés par le malheur.
Après l’effondrement de la monarchie, l’Eglise russe continua dans un premier temps à jouir à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie de ses anciens droits.  Mais ce temps fut de courte durée.  Bientôt commencèrent les persécutions. Le gouvernement communiste, rapidement arrivé au pouvoir, se fixa comme but d’anéantir toute religion qui n’est, selon l’enseignement marxiste, que préjugés et superstitions.  Les coups les plus durs furent dirigés contre l’Eglise orthodoxe, à laquelle appartenait l’écrasante majorité du peuple russe et qui l’avait inspiré au cours des siècles depuis son baptême.  On commença à fermer les églises, à persécuter et à tuer le clergé, puis à lutter systématiquement contre l’Eglise afin de l’anéantir.
Prévoyant que le pouvoir suprême de l’Eglise russe pourrait être privé de liberté et que certaines parties de l’Eglise russe se trouveraient dans l’incapacité d’entrer en contact avec lui, celui qui était alors son chef, le patriarche Tikhone, ordonna de constituer des administrations ecclésiastiques provisoires, placées sous l’autorité du plus ancien des hiérarques.  A ce moment-là, des administrations ecclésiastiques avaient déjà été créées dans les territoires qui, pendant la guerre civile à l’intérieur même de la Russie, n’avaient plus de contact avec Moscou (comme dans le sud de la Russie et en Sibérie). Avec le Grand Exode des Russes quittant leur patrie après la défaite des troupes qui luttaient contre le pouvoir communiste, l’Administration ecclésiastique suprême du Sud de la Russie, présidée par le métropolite Antoine, connu dans tout le monde orthodoxe, se retrouva aussi à l’étranger.
Arrivés à Constantinople, les hiérarques ont immédiatement demandé au locum tenens du Siège œcuménique, le métropolite Dorothée de bienheureuse mémoire, de les autoriser à continuer de veiller sur le troupeau de leurs fidèles russes.  L’autorisation leur a été donnée par un acte du 29 décembre 1920.  Au début de 1921, sur l’invitation du patriarche Dimitri de Serbie, le métropolite Antoine, de même que l’Administration suprême de l’Eglise Russe Hors-Frontières, s’installèrent en Serbie.  Tous les évêques russes de l’Eglise russe et toutes les différentes parties de l’Eglise russe situées en dehors des frontières de l’Etat russe se sont alors réunis autour du métropolite. Les églises qui se trouvaient sous la juridiction du vicaire du métropolite de Pétrograd furent confiées à l‘archevêque Euloge sur décision de l’Administration ecclésiastique suprême, confirmée plus tard par le patriarche Tikhone. Les missions religieuses en Extrême-Orient (Chine et Japon), de même que les évêques émigrés de Russie en Mandchourie, se sont placés sous l’autorité de la nouvelle administration ecclésiastique Hors-Frontières.  Conformément au souhait du patriarche Tikhone, c’est cette même administration qui a désigné en Amérique l’un des évêques arrivés du sud de la Russie à Constantinople (le métropolite Platon).  Notre Mission religieuse à Jérusalem ainsi que l’Eglise en Argentine, se sont également ralliées.
L’Administration ecclésiastique suprême, qui s’était constituée au sud de la Russie dans les régions non encore tombées aux mains du pouvoir soviétique, devint réellement le pouvoir suprême de l’Eglise pour toutes les Eglises russes en dehors des frontières de la Russie et ce, conformément au décret du 7-20 novembre 1920, confirmé par le locum tenens du trône œcuménique de Constantinople, le métropolite Dorothée et fraternellement accepté par le patriarche serbe Dimitri.

L’Administration ecclésiastique suprême, qui comprenait au début non seulement des évêques mais aussi des représentants du clergé et des fidèles, reconnaissait le patriarche Tikhone de Moscou comme son hiérarque suprême, considérait comme provisoire sa séparation d’avec lui et s’estimait responsable devant le Concile pan-russe qui se tiendrait lorsque la Russie serait libérée du pouvoir athée. Le patriarche Tikhone de Moscou avait reconnu les nominations effectuées par l’Administration ecclésiastique suprême Hors-Frontières.  Il lui avait même donné des instructions à propos de la nomination du métropolite Platon au rang d’évêque diocésain de l’Amérique du Nord et demandé la révision de l’activité de l’évêque Antoine, ancien recteur de l’Eglise de Copenhague, consacré à Belgrade.
Le premier Concile Hors-Frontières se tint en novembre 1921 à Sremsky Karlovtsy, en Yougoslavie; 24 évêques y prirent part, ainsi que des représentants du clergé et des fidèles.
Devenant ainsi le porte-parole de tous les Russes qui avaient pu échapper au pouvoir soviétique, le Concile estima nécessaire de parler de la situation en Russie où le reste de la population souffrait sous le joug de ce pouvoir.  Le Concile s’adressa à la Conférence internationale de Gênes, en demandant de ne pas soutenir le pouvoir bolchevique et d’aider le peuple russe à s’en libérer.
Voyant en cette démarche une menace, le pouvoir bolchevique décida de faire pression sur les Russes émigrés par l’intermédiaire du pouvoir ecclésiastique central.  Le patriarche Tikhone, sous l’implacable pression du pouvoir soviétique, signa un décret prononçant la dissolution de l‘Administration ecclésiastique suprême, après avoir confié au métropolite Euloge le soin d’en créer une nouvelle.  Peu de temps après, le patriarche Tikhone fut arrêté.
S’inspirant du précédant décret du 7-20 novembre 1920, les évêques en exil se réunirent en Concile le 31 août 1922 et décidèrent d’élire, à la place de l’Administration ecclésiastique suprême, un Synode des évêques.  Son président fut choisi comme étant le plus ancien en dignité, ayant occupé le siège épiscopal le plus ancien en Russie et étant le seul, avec le patriarche Tikhone, à avoir été membre permanent du Synode russe, le métropolite Antoine de Kiev.
Toutes les églises russes se soumirent au Synode des évêques, comme auparavant à l’Administration ecclésiastique suprême, et le Synode des évêques élus fut reconnu comme étant l’autorité ecclésiastique à l’étranger.  Le Synode des évêques et le Concile continuèrent à se considérer, eux-mêmes et les églises qui dépendaient d’eux, comme partie indissolublement liée à l’Eglise russe.  Selon la coutume russe, le nom du patriarche Tikhone était commémoré pendant les offices divins dans toutes les églises russes à l’étranger, suivi du nom du chef de l’Eglise Hors-Frontières, le métropolite Antoine.
Le président du Synode des évêques Hors-Frontières, le métropolite Antoine, étant devenu après l’arrestation du patriarche Tikhone le plus ancien des hiérarques russes restés en liberté, se mit à défendre l’Eglise russe persécutée.  S’adressant aux très saints patriarches ainsi qu’aux hétérodoxes influents, il expliquait la véritable situation de l’Eglise en Russie, situation si souvent présentée de façon déformée. Sa démarche auprès de l’archevêque de Canterbury fit que le gouvernement anglais s’occupa du sort du patriarche Tikhone et que celui-ci fut libéré, au moment où commençait son procès et où était dressé contre lui un acte d’accusation destiné à le condamner à mort.
Après le décès du patriarche Tikhone, le 7 avril 1925, l’Eglise Russe Hors-Frontières reconnu comme locum tenens  du siège patriarcal, le métropolite Pierre de Kroutitsa; ce dernier, cependant, fut bientôt arrêté et sa fermeté, son refus de faire des concessions au pouvoir athée lui valut d’être déporté.  Aussi bien en Russie qu’à l‘étranger, l’Eglise continua de le considérer comme son chef et son nom était commémoré dans toutes les églises. Le métropolite Serge le remplaça. A cette époque-là, certaines divergences de vue apparurent entre les hiérarques russes hors-frontières qui s’adressèrent au métropolite Serge pour lui demander de trancher la question.  Ceci permit au métropolite Serge d’exposer son point de vue sur la situation de la partie de l’Eglise russe située à l’étranger.  Dans une lettre adressée à tous les évêques hors-frontières du 12 septembre 1926, il écrit : «Mes saints frères, vous me demandez d’être juge d’une affaire, dont je ne connais strictement rien... D’une manière générale, est-ce que le patriarche de Moscou peut diriger la vie de l’Eglise des émigrés orthodoxes... L’intérêt de la cause même de l’Eglise exige que, d’un commun accord, vous constituiez pour vous-mêmes un organe central d’administration ecclésiastique ayant suffisamment d’autorité pour régler tout malentendu ou désaccord et capable de mettre fin à ces divergences et aux actes de désobéissance, sans recourir à notre aide ». Dans cette lettre remplie d’amour pour ses frères émigrés, il ajoute : « Il est peu probable que nous nous revoyions dans cette vie, mais j’espère, par la miséricorde de Dieu, vous revoir dans la vie future ».
Ce fut la dernière missive du métropolite Serge, dans laquelle il exprimait librement ce qu’intérieurement il considérait juste. L’emprisonnement, les menaces contre lui-même et contre toute l’Eglise russe et les fausses promesses du pouvoir soviétique vinrent à bout de sa résistance : quelques mois après cette lettre pleine d’amour pour les hiérarques hors-frontières, qui constitua en quelque sorte son testament avant la perte de sa liberté intérieure, le métropolite Serge fit une Déclaration  dans laquelle il reconnaissait le pouvoir soviétique comme le pouvoir véritablement légal de la Russie, soucieux du bien de son peuple, « dont les joies sont la source de nos joies et les malheurs sont nos malheurs » (Déclaration du 16/29 juillet 1927). Selon la promesse faite au pouvoir soviétique, le métropolite Serge exigeait, simultanément, du clergé hors-frontières qu’il signe une Déclaration de loyauté à l’égard des autorités soviétiques.
Ce décret était en totale contradiction avec le point de vue exprimé neuf mois plus tôt, à savoir que le patriarcat de Moscou ne pouvait diriger la vie ecclésiastique des émigrés.  S’il pouvait y avoir, pour ceux qui se trouvaient en Russie et qui souffraient cruellement, certaines circonstances atténuantes pour excuser leur reddition morale devant le pouvoir tortionnaire, ­ de même que, au temps des persécutions, les canons de l’Eglise adoucissaient la pénitence de ceux qui reniaient le Christ après de grandes souffrances, ­ par contre, ceux qui étaient libres et qui se trouvaient dans une relative sécurité ne pouvaient bénéficier d’aucune circonstance atténuante, ni d’aucune justification, en signant une telle Déclaration.  Il est peu probable que le métropolite Serge lui-même ait compté sur la soumission de quiconque hors-frontières à son décret, mais il le fit visiblement pour remplir les exigences du pouvoir soviétique et se décharger, ainsi, de toute responsabilité.
Ce fut, cependant, le cas du métropolite Euloge [de Paris] et de ses vicaires, ainsi que de l’évêque Benjamin de Sébastopol; tandis qu’en Russie même, il se trouva de courageux confesseurs de la foi, tant parmi les évêques emprisonnés que parmi ceux restés en liberté, qui déclarèrent au métropolite Serge qu’ils ne reconnaissaient pas l’accord passé avec le pouvoir athée, persécuteur de l’Eglise.  Nombre d’entre eux rompirent même la communion de prières avec le métropolite Serge, le considérant comme “déchu” et comme ayant pactisé avec les impies; ces évêques furent suivis par une partie du clergé et des fidèles en Russie. Le pouvoir athée soviétique persécuta impitoyablement ces audacieux hiérarques et leurs imitateurs.
Sans avoir rempli ses promesses envers le métropolite Serge, ­ promesses qui l’avaient incité à conclure cet accord, ­ le pouvoir soviétique se mit de surcroît à emprisonner, déporter et même exécuter ceux qui ne reconnaissaient pas la Déclaration du métropolite Serge.
Parmi ces derniers se trouvaient le locum tenens du siège patriarcal, le métropolite Pierre, ­ dont le métropolite Serge était le remplaçant, ­ le métropolite Agathange de Yaroslav et le métropolite Cyril de Kazan, désignés par le patriarche Tikhone comme éventuels locum tenens  du siège (si Pierre n’y avait pas accédé), le métropolite Joseph de Pétrograd et de nombreux autres hiérarques de grande renommée.  Quand on songe que le métropolite Serge était en totale communion d’idées avec eux peu de temps avant de signer sa Déclaration pour les raisons déjà évoquées!
La Déclaration  du métropolite Serge ne tourna pas à l’avantage de l’Eglise. Les persécutions ne s’arrêtèrent pas, mais s’inten-sifièrent.  Au nombre des diverses accusations portées par le pouvoir soviétique contre le clergé et les fidèles, il s’en ajoutait une nouvelle : la non-reconnaissance de la Déclaration.  Les fermetures d’églises se multiplièrent dans toute la Russie.  En l’espace de quelques années, presque toutes les églises furent détruites ou réquisitionnées pour divers besoins.  Des régions entières restèrent sans une seule église. Les camps de concentration et de travaux forcés renfermaient des milliers de prêtres, dont une grande partie ne retrouva jamais la liberté, y ayant été exécutés ou ayant succombé aux travaux inhumains et aux privations.  Même les enfants des prêtres étaient persécutés, de même que tous les fidèles.
L’Eglise Russe Hors-Frontières partageait spirituellement ces épreuves.  En dehors des quelques hiérarques déjà mentionnés, tous les autres évêques, sous l’égide du métropolite Antoine, refusèrent net de signer la Déclaration de loyauté envers le pouvoir soviétique et la dénoncèrent avec force.  Par ailleurs, le métropolite Antoine, qui affectionnait beaucoup le métropolite Serge et souffrait intérieurement pour son élève bien-aimé et ami, lui envoya une lettre d’exhortation; cette lettre ne parvint sans doute jamais jusqu’à lui et, en tout cas, ne pouvait plus avoir d’influence sur ses actes.
Bien que n’ayant pas reconnu la Déclaration du métropolite Serge, les hiérarques et les fidèles tant à l’intérieur de la Russie qu’en dehors de ses frontières ne quittèrent pas l‘Eglise russe.  Ils continuaient à être unis spirituellement au métropolite Pierre, locum tenens du siège patriarcal, déporté dans les régions désertiques de l’extrême nord.  Son nom était commémoré dans toutes les églises russes hors-frontières, où l’on priait pour les frères souffrant dans la patrie, pour qu’ils soient délivrés du pouvoir athée et pour le repos de ceux qui avaient été martyrisés.  Entre-temps, le métropolite Euloge, qui avait signé la Déclaration de loyauté envers le pouvoir soviétique, fut invité en Angleterre à participer à un moleben [office d’action de grâces] pour la Russie souffrante.  Ceci fut considéré comme une attaque contre les autorités soviétiques et le métropolite Serge interdit le métropolite Euloge de célébration.  Ne voulant pas se soumettre à cette décision, mais refusant, par ailleurs, de reconnaître sa faute devant le Synode Russe Hors-Frontières, le métropolite Euloge demanda au patriarche de Constantinople de l’accepter temporairement, lui et ses fidèles, dans la juridiction du patriarcat œcuménique, ce qui fut fait.
En dépit de son départ et de celui du métropolite Platon accompagnés de leurs ouailles du sein de l’Eglise Hors-Frontières et pour ainsi dire de l’Eglise russe, ­ l’Eglise Hors-Frontières représente la partie libre de l’Eglise russe. Elle jouissait de l’attention des très saints patriarches et hiérarques appartenant aux Eglises orthodoxes-sœurs.  Le patriarche de Serbie Barnabé lui témoignait une attention et un souci tout particuliers et s’efforçait de ramener au sein de l’Eglise Hors-Frontières les évêques qui s’en étaient détachés (les métropolites Euloge et Platon avec leurs clergés); il cherchait aussi à être un médiateur entre l’Eglise Hors-Frontières et le métropolite Serge, qui avait été son recteur d’académie, qu’il estimait et qu’il aimait.  Cependant, il dut acquérir rapidement la certitude que le métropolite Serge était entre les mains des ennemis de l’Eglise et que ses actes étaient nuisibles aux intérêts de l’Eglise, ce qu’il lui déclara sans détours dans une lettre.
Le 9/22 juillet 1930, le patriarche Barnabé s’adressa à l’Eglise Russe Hors-Frontières, lors d’un service dans l’église russe de la Trinité à Belgrade, en disant : « Sachez que les fanatiques qui persécutent l’Eglise non seulement la martyrisent, mais cherchent à la diviser et étendent leurs mains criminelles jusqu’à nous, qui nous trouvons en dehors des frontières de votre patrie.  Vous, les fils fidèles de la Russie, ne devez pas oublier que vous êtes le seul rempart du grand peuple russe... Les dissensions à l’intérieur de l’Eglise, fomentées par les ennemis de votre patrie, doivent à tout prix cesser. Vous avez parmi vous un grand hiérarque, le métropolite Antoine, ornement de l’Eglise orthodoxe universelle.  C’est un grand esprit, semblable aux premiers hiérarques de l’Eglise du Christ au début du Christianisme. En lui repose la vérité de l’Eglise et ceux qui se sont détachés de lui doivent retourner vers lui.  Vous tous, qui vivez non seulement dans notre Yougoslavie, mais aussi en Amérique, en Asie, dans tous les pays du monde, vous devez constituer sous l’égide de votre grand archipasteur, le métropolite Antoine, un tout uni et invincible, résistant aux attaques et aux provocations des ennemis de l’Eglise.  En tant que patriarche de Serbie, aujourd’hui votre cher frère, je prie Dieu ardemment pour qu’Il rassemble dans l’unité les Russes en exil, pour que renaisse la Russie telle qu’elle était sous la conduite du Tsar autocrate orthodoxe, et au nom de notre Seigneur Jésus-Christ et de tous Ses saints, je vous donne ma bénédiction de patriarche. »
Le patriarche Barnabé prenait une part active aux affaires de l’Eglise Russe Hors-Frontières, convoquant sous sa présidence une conférence des représentants des diverses régions ecclésiastiques hors-frontières, dans le but de mettre fin aux désaccords et au schisme et de ramener au sein de l’Eglise Hors-Frontières ceux qui l’avaient quittée.  C’est avec sa participation et sous sa présidence que fut élaboré en 1935 un texte sur la Situation de l’Eglise orthodoxe Russe Hors-Frontières qu’il signa, ainsi que les hiérarques russes, et qui constitua le fondement de l’administration de l’Eglise Hors-Frontières.
Le patriarche Grégoire d’Antioche entretenait avec cette dernière les mêmes relations empreintes d’amour; il lui apporta toujours son soutien et finança la publication de la Catéchèse orthodoxe, écrite par le métropolite Antoine.  Le très saint patriarche d’Alexandrie resta toujours en relation avec l’Eglise Russe Hors-Frontières, l’aidant fraternellement et considérant ses hiérarques comme ses chefs légitimes.  Le bienheureux patriarche de Jérusalem non seulement permettait à l’Eglise russe d’agir à l’intérieur de son patriarcat, mais lui demandait même de prendre part aux affaires de celui-ci.  Ainsi, ayant eu besoin de consacrer de nouveaux évêques pour faire face à certaines difficultés, il invita à concélébrer l’archevêque Anastase, qui se trouvait à Jérusalem, et qui deviendra le deuxième primat de notre Eglise.  Le bienheureux patriarche Timothée fut l’un de ces évêques consacrés par le patriarche Damien et le métropolite Anastase. L’archevêque du Sinaï entretenait également des relations avec l’Eglise Hors-Frontières, qui était aussi en communion fraternelle avec l’Eglise de Bulgarie.  Lorsqu’elle se trouvait sur le territoire d’une des Eglises locales, l’Eglise Russe Hors-Frontières s’occupait de ses enfants spirituels avec l’accord des saints hiérarques de ces Eglises et agissait en toute indépendance, dans les limites qui lui étaient accordées, continuant à jouir des droits réservés auparavant à l’Eglise russe.
En 1935, on célébra le cinquantième anniversaire du sacerdoce du métropolite Antoine, chef de l’Eglise Hors-Frontières. La célébration de ce jubilé fut un triomphe pour l’Eglise orthodoxe, car non seulement l’Eglise de Serbie, sur le territoire de laquelle il se trouvait, y prit une part active, mais d’autres Eglises envoyèrent à Belgrade leurs représentants. L’Eglise d’Antioche envoya le métropolite Ilya du Liban.  Les représentants vinrent des quatre coins du monde.
L’année suivante, en 1936, mourait le premier primat de l’Eglise Russe Hors-Frontières, le métropolite Antoine.
Ce fut le métropolite Anastase qui le remplaça; il avait déjà été désigné auparavant et fut rapidement élu par le Concile des évêques russes Hors-Frontières.
Au début, cette succession ne marqua aucun changement dans la situation de l’Eglise Hors-Frontières. Elle continua d’exister et d’agir, s’inspirant du texte sur la Situation adopté sous la présidence du patriarche Barnabé et jouissant extérieurement et en tous lieux de ses droits antérieurs.  En 1937, le locum tenens du siège patriarcal de Moscou, le métropolite Pierre de Kroutitsa, mourait en déportation, précédé ou suivi de peu par le métropolite Cyril de Kazan, qui devait remplacer le métropolite Pierre sur le siège patriarcal, et qui décéda aussi en exil.  Le synode du patriarcat de Moscou, composé d’évêques choisis par le métropolite Serge, confirma ce dernier comme locum tenens du siège patriarcal.  A cette époque, l’Eglise russe à l’intérieur de la Russie était dans un état d’extrême désolation.  Il ne restait plus en liberté que vingt évêques, la majorité des églises étaient fermées, détruites ou affectées à d’autres usages.  Des provinces entières et d’immenses étendues ne possédaient plus une seule église. Les reliques et les icônes miraculeuses furent réquisitionnées et placées dans des musées.  La majorité de ceux qui, dans le clergé, étaient encore vivants, se trouvaient en déportation, dans les camps de travaux forcés ou survivaient en cachant leur dignité et en gagnant, au prix de n’importe quel travail, une maigre pitance, ne célébrant les offices divins qu’en secret, chez des fidèles dignes de confiance.
Pendant tout ce temps-là, le métropolite Serge, lié par ses promesses envers le pouvoir soviétique, continuait d’affirmer que l’Eglise en Russie n’était pas persécutée.
L’Eglise Hors-Frontières, qui n’était pas soumise au métropolite Serge ni à son synode, conserva à son égard la même attitude et se sentait unie spirituellement à l’Eglise-mère souffrante, continuant à prier pour elle et pour les frères persécutés.
En 1939 commença la Deuxième Guerre mondiale, dans laquelle fut entraînée la Russie conduite par le pouvoir soviétique.  Le peuple espérait que la guerre le libérerait de ce régime et au début ne voulait pas défendre ses oppresseurs [le pouvoir soviétique], les soldats se rendaient par unités entières. Cependant, lorsque le peuple comprit que la guerre était dirigée contre la Russie et que les Allemands voulaient asservir le pays, il se dressa pour défendre sa patrie.  Le pouvoir soviétique exploita cet élan et voyant que la foi populaire, longtemps cachée, se manifestait irrésistiblement pendant la guerre et qu’il n’était pas possible de la contenir ­ restant comme par le passé la force intérieure essentielle de millions de Russes ­, il décida de faire temporairement quelques concessions.  En témoignant une certaine attention à l’Eglise, le pouvoir soviétique cherchait à s’allier le peuple, sans le soutien duquel il pouvait être rapidement balayé dans la difficile lutte qui s’engageait.  Certaines églises furent réouvertes; une partie des reliques réquisitionnées par les musées fut restituée.  Ce ne fut là qu’une petite partie des choses sacrées et des biens de l’Eglise confisqués par le pouvoir soviétique, et cependant on considéra que celui-ci changeait d’attitude vis-à-vis de l’Eglise.
Maintenant encore, le gouvernement soviétique est un gouvernement communiste, athée dans ses principes et ses idées, et son but fixé est d’anéantir toute religion, comme étant une forme de superstition, et d’instaurer l’athéisme.  Ce but fondamental reste inaltéré, quelles que soient les concessions temporaires, ou les divergences tactiques utilisées. En utilisant le pouvoir ecclé-siastique et l’Eglise pour atteindre ses propres objectifs politiques, le gouvernement soviétique se prépare à l’avance à frapper l’Eglise à la première occasion favorable.  Les exemples et les preuves de la souplesse de la politique soviétique abondent dans tous les domaines. Lorsque cela fut utile, le pouvoir soviétique a largement exploité le patriotisme du peuple russe et s’est donné l’apparence d’un gouvernement réellement russe; cependant, la guerre était à peine finie, que les slogans patriotiques russes furent abandonnés et remplacés par ceux de la politique internationaliste et des objectifs du communisme, tout en ne rejetant pas totalement les idéaux historiques russes, encore utiles.  Après avoir permis, pendant la guerre, à l’armée et à ses chefs de renforcer leur influence, le pouvoir se débarrassa des généraux devenus populaires et déporta un grand nombre de héros de guerre, en déclarant qu’il fallait attribuer tout le mérite de la victoire au parti communiste.  De même, après avoir noué de bonnes relations avec différents gouvernements étrangers, les dirigeants soviétiques changèrent brusquement d’attitude et se mirent à traîner dans la boue ceux que, la veille encore, ils embrassaient.  Si, pendant la guerre, ils appelaient les soldats à défendre l’intégrité et la gloire de la patrie, dès le lendemain de la guerre beaucoup d’éminents patriotes furent condamnés à mort.
De la même façon, en ce qui concerne l’Eglise, le gouvernement soviétique allant à l’encontre de toute sa conception du monde, soutenait l’Eglise, en ayant pour but de reprendre tout ce qui lui avait été accordé et de la détruire enfin, lorsqu’elle cesserait de lui être utile.
Pourquoi donc, actuellement, le pouvoir soviétique fait-il parfois semblant d’être bienveillant vis-à-vis de l’Eglise ?  Premièrement, parce qu’il ne se sent pas encore suffisamment fort pour entrer en conflit direct avec le peuple croyant à l’intérieur du pays, et encore moins au vu et au su du monde entier, en raison d’éventuelles complications sur le plan international.  Deuxièmement, il doit pour le moment cacher ses véritables objectifs et utiliser le clergé pour se faire une bonne réputation parmi les peuples libres.  Troisièmement, par l’intermédiaire de ce clergé asservi, il entend limiter le mouvement religieux, influer sur les Russes vivant hors frontières et tenir dans ses mains toute l’émigration russe.  Sachant que les Russes se rassemblent principalement autour de l’Eglise et n‘ayant pas la force, à présent, de l’anéantir, le pouvoir soviétique veut, à travers elle, atteindre ceux qui ne lui sont pas soumis : tenant entre ses mains le clergé, il compte par là-même agir sur les fidèles. De là vient l’exigence du chef de l’Eglise soumis au pouvoir, que tous les prêtres signent une déclaration de loyauté à l’égard des autorités soviétiques. Une telle exigence est-elle légitime ? Est-elle acceptable ?
Les Russes vivant hors des frontières de la Russie ne sont pas des ressortissants du pouvoir soviétique.
Restant fidèles à notre patrie, nous ne reconnaissons pas comme légitime un gouvernement qui s’oppose à la conception de l’existence millénaire de notre peuple, et nous sommes partis à l’étranger pour ne pas nous y soumettre.  Pourquoi donc les évêques et autres clercs devraient-ils lui promettre leur loyauté ? L’archevêque de Constantinople, le patriarche œcuménique, exige-t-il de ses fidèles grecs ou étrangers qui se trouvent en Amérique et dans d’autres pays, qu’ils soient loyaux envers le gouvernement turc ?
Le patriarche d’Antioche, dont le territoire recouvre la Syrie et le Liban, exige-t-il une déclaration de loyauté envers l’un ou l’autre des gouvernements de ces pays de la part des fidèles qui ne leur sont pas soumis ?
Est-ce que le saint synode russe exigeait de la part des orthodoxes devenus citoyens de l’Amérique ou d’autres Etats, la loyauté envers le gouvernement russe et même envers le très pieux empereur ?
Pendant la guerre russo-japonaise, l’illuminateur du Japon, l’archevêque Nicolas *, resté au Japon, bénissait les soldats japonais orthodoxes qui allaient faire la guerre contre sa propre patrie.  Bien que ne célébrant pas lui-même les offices, puisqu’il ne pouvait prier pour la victoire contre son pays, la Russie, il autorisait cependant le clergé japonais qui dépendait de lui, à prier dans ce sens.  A la fin de la guerre, ayant rempli sa tâche de pasteur, il fut décoré par le saint synode et par le tzar russe lui-même.  Si le pieux tzar et le saint synode agissaient ainsi, existe-t-il un quelconque droit ou une justice morale à exiger de ceux qui luttent contre le régime athée, de se soumettre à celui-ci, sous la pression de leurs pasteurs spirituels ?
Lorsque les patriarches serbes Arsène III et Arsène IV quittèrent, avec leurs fidèles, leur patrie occupée par les Turcs et s’installèrent dans un autre pays, les évêques et les prêtres des Serbes en exil, afin de rester libres, cessèrent de se soumettre aux nouveaux patriarches serbes soumis aux Turcs.
La même chose ne s’est-elle pas produite en Grèce ?  Pourquoi a-t-on assisté à l’apparition d’une Eglise autocéphale d’Hellade, alors que son territoire constituait, depuis des temps immémoriaux, une partie du patriarcat (œcuménique) de Constantinople?  Lorsqu’en 1819-1820, les Grecs se sont révoltés contre les Turcs, le gouvernement turc a exigé du patriarcat qu’il excommunie les Grecs insurgés, ce qu’il fit.  Bien que les Grecs aient su que leur patriarche n’avait exécuté que pour le principe l’ordre donné et, tout en restant unis à lui d’âme et de cœur, ils déclarèrent cependant nulle la décision d’excommunication, formèrent des institutions ecclésiastiques indépendantes et, après la création de l’Etat d’Hellade, constituèrent une Eglise grecque autonome.  Pendant trente ans, l’archevêque de Constantinople et le synode d’Hellade n’eurent pas de relations, tant que ne furent pas établis entre l’Eglise du patriarcat et celle d’Hellade des rapports d’Eglise à Eglise.  Jusqu’à une période récente, les Grecs qui vivaient à l’étranger dépendaient du clergé de l’Eglise d’Hellade et ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, alors que la Turquie était à moitié détruite et affaiblie, que les Grecs de la diaspora redevinrent les fidèles du patriarche œcuménique.  Cependant, l’Eglise d’Hellade est restée jusqu’à ce jour autocéphale et, après la guerre des Balkans et les deux guerres mondiales, se sont incorporées à elle des régions devenues grecques, mais appartenant depuis toujours au patriarcat de Constantinople.  L’archevêque d’Athènes reçut le titre de “Très Bienheureux”.  C’est seulement quand Constantinople redeviendra la capitale de l’empire grec, si telle est la Volonté divine, que se réuniront les deux Eglises grecques, de même que se sont réunies les deux parties de l’Eglise serbe, quand furent libérés et assemblés en un Etat tous les territoires serbes.
Si la volonté de garder une liberté spirituelle et de se protéger contre toute influence des autorités qui, bien que non chrétiennes, vénéraient à leur façon Dieu, et qui, bien que limitant la liberté des chrétiens, ne les persécutaient que de façon épisodique, suffit à détacher des parties de l’Eglise-mère, combien plus juste, acceptable et nécessaire est-il de préserver les croyants de toute atteinte de la part d’autorités qui, se donnant ouvertement pour but de lutter contre la religion qualifiée de superstition, cherchent à l’anéantir systématiquement.
« Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Eglise. »  L’Eglise a enduré de terribles persécutions et les endurait avec patience, moissonnant une foule de nouveaux martyrs. Mais jamais l’Eglise n’a désiré ces épreuves et elle priait pour être épargnée tant des persécutions que des tentations.  Elle priait pour la défaite des oppresseurs et l’on sait que Julien l’Apostat périt quand saint Basile le Grand pria pour délivrer l’Eglise de ses exactions.
A qui sert de détruire l’Eglise Russe Hors-Frontières ?
Aux réfugiés russes, à la diaspora russe ?  Mais c’est précisément l’Eglise Hors-Frontières qui leur donne une force spirituelle, qui les unit, les empêche de disparaître complètement en perdant la foi orthodoxe, et avec elle toute la culture russe créée par l’Orthodoxie. Seuls les ennemis de la Russie et du peuple russe peuvent souhaiter cela.
Est-il nécessaire, est-il utile à l’Eglise russe à l’intérieur de la Russie de détruire l’Eglise Hors-Frontières et de la rattacher au patriarcat ?
L’Eglise Russe Hors-Frontières ne se sépare pas spirituellement de l’Eglise-mère souffrante.  Elle prie pour elle, conserve ses richesses tant spirituelles que matérielles et, en temps voulu, s’unira à elle lorsque les motifs de séparation auront disparu.
Il ne fait aucun doute qu’il y a en Russie de nombreux hiérarques, prêtres et fidèles qui sont avec nous et seraient heureux d’agir comme nous, s’ils le pouvaient.
La fin de l’existence séparée de l’Eglise Hors-Frontières n’est nécessaire ni profitable qu’au seul pouvoir soviétique.  Celui-ci veut, par l’intermédiaire du clergé, contrôler l’émigration et l’influencer. Les émigrés qui ne voudraient pas être soumis à l’autorité spirituelle de pasteurs dépendant des soviets, resteraient sans Eglise, se disperseraient et cesseraient d’être dangereux pour le pouvoir soviétique.  Le clergé en Russie et, en particulier les hiérarques, pourraient être les otages pour les agissements de l’émigration.  Si, lorsqu’il n’y avait aucune raison de rendre le patriarche Tikhone responsable des actes des évêques hors-frontières, il en fut cependant rendu coupable, à plus forte raison, si les évêques hors-frontières se soumettaient à lui, le patriarche en porterait-il la totale responsabilité. Quand les émigrés russes prendraient position contre le régime soviétique, celui-ci ne se gênerait pas pour pendre le patriarche aux portes du Kremlin, comme les Turcs avaient pendu le patriarche Grégoire V aux portes du patriarcat.
Sans avoir de relations véritables avec l’Eglise en Russie, l’Eglise Russe Hors-Frontières est en communion spirituelle avec tous ceux qui, là-bas, souffrent et sont persécutés, emprisonnés ou déportés.
Nous sommes convaincus et nous savons que la foi orthodoxe est forte en Russie.
Le Seigneur Dieu qui, au temps d’Elie, avait gardé sept mille hommes fidèles, refusant de s’incliner devant Baal, possède aujourd’hui encore une multitude de serviteurs qui Le servent et Le prient en secret dans toute l’immensité de la Terre russe.  Et parmi les évêques apparemment soumis au pouvoir soviétique, beaucoup sont torturés par leur conscience et, le moment venu, feront comme ceux qui, au Concile de Chalcédoine, ont déclaré avec des larmes qu’ils avaient été contraints d’approuver le Concile «de brigandage»; comme le saint patriarche Paul, rongé de remords, et qui revêtit le schème [grand habit monastique] en reconnaissant sa faiblesse devant les iconoclastes.  Un grand nombre d’exemples parmi ceux qui ont quitté leur patrie pendant la Deuxième Guerre mondiale en témoigne. Les soviets le savent et gardent sous une étroite surveillance, visible ou secrète, tous ceux qui, en particulier à titre temporaire, sont envoyés à l’étranger.
Mais il y a aussi des cas contraires.  Récemment, un professeur de l’Académie religieuse, qui occupait peu de temps auparavant une position éminente parmi le clergé, fit publier de violentes attaques contre Dieu et contre la foi chrétienne.  Ce professeur, l’archiprêtre Ossipov, était appuyé par d’autres membres du clergé, déposés de leur dignité et privés de tout contact avec l’Eglise par un décret du synode du patriarcat de Moscou du 30 décembre 1959.  Ils sont sortis du milieu de nous, mais n’étaient pas des nôtres, comme le dit l’Ecriture sainte (1 Jean, 2,19).  Il existe, sans aucun doute, à côté de ceux-ci qui se sont démasqués, d’autres ennemis cachés de l’Eglise, qui se font passer pour ses fils fidèles afin de la couvrir ensuite de honte.  Sous la domination des athées règne l’hiver spirituel, pendant lequel on ne peut reconnaître les arbres privés de leurs feuilles (Livre du Pasteur  d’Hermas).  Les paroles du prophète Michée s’y réalisent totalement : Méfiez-vous les uns des autres, ne faites pas confiance à un ami; l’homme a pour ennemi les gens de sa maison  (Michée 7,5-6).
En 1965, affaibli par l’âge et la maladie, le métropolite Anastase mourut et fut élu à sa place le métropolite Philarète qui préside maintenant l’Eglise Hors-Frontières, la conduisant sur le même chemin que ses prédécesseurs.
Les émigrés russes, dispersés dans le monde entier et vivant souvent dans des conditions difficiles, attendent le jour resplendissant de la libération de leur Patrie, lorsque le pouvoir des sans-Dieu, qui persécute physiquement et spirituellement leurs frères, disparaîtra et qu’ils pourront alors se trouver réunis.  L’Eglise Russe Hors-Frontières porte avec eux la lourde croix de l’exil.  N’ayant rien renié de l’Orthodoxie, conservant les traditions et les coutumes de l’Eglise russe, ainsi que ses biens situés à l‘étranger, elle veille dans la mesure de ses forces sur ses fidèles, les garde dans la foi orthodoxe, instruit les nouvelles générations et propage l’Orthodoxie parmi les peuples des pays où elle se trouve.  On prie toujours, dans les églises hors-frontières, pour la patrie souffrante, pour l’Eglise persécutée, pour les martyrs (pour lesquels on n’ose pas là-bas prier ouvertement), pour le salut de la patrie et pour qu’elle soit délivrée de ce pouvoir cruel, pour le rétablissement de la foi véritable et le retour de la piété.  Toutes ces prières ne peuvent être élevées que dans la mesure où l’Eglise ne dépend pas de ceux qui sont sous le joug de ce pouvoir cruel et qui s’y soumettent.
L’Eglise Russe Hors-Frontières, dirigée par un Concile d’évêques, consacrés en exil et ayant promis de se soumettre à son pouvoir ecclésiastique, compte 18 évêques dans différents pays.  Elle possède aussi des monastères et des couvents, dont certains existaient déjà du temps du tzar (en Palestine), d’autres se sont formés en Russie (monastères de Lesna en France, de la Mère de Dieu de Vladimir en Californie et au Canada), et d’autres enfin ont été créés au temps de nos malheurs, au sein de l’Eglise Russe Hors-Frontières (monastères de la Sainte Trinité à Jordanville, de saint Job de Potchaev à Munich, Novo-Divyévo aux Etats-Unis ...)
L’Eglise Russe Hors-Frontières possède son propre séminaire de théologie (dont le niveau égale celui des établissements d’enseigne-ment supérieur du pays où il se trouve), des instituts d’enseignement secondaires et des écoles qui enseignent la foi orthodoxe et la culture russe aux enfants grandissant dans l’émigration.
Les paroisses et les communautés religieuses de l’Eglise Russe Hors-Frontières sont disséminées dans le monde entier, tant dans les grandes métropoles que dans les endroits reculés, où vivent ne serait-ce que quelques Russes.  Les prêtres sont souvent obligés de faire de longs voyages pour s’occuper de leurs fidèles.  Certains doivent assurer leur subsistance par un quelconque travail, quand les paroissiens ne sont pas en mesure de les faire vivre.
La Mission religieuse russe à Jérusalem et les deux couvents (du Mont des Oliviers et de Gethsémani) occupent une place particulière. La Mission lutte sans relâche pour conserver ses lieux saints et favorise l’organisation de pèlerinages.
Les prêtres et les évêques de l’Eglise Hors-Frontières partagent avec leurs fidèles les difficultés matérielles et spirituelles de l’exil et accomplissent leur devoir en servant l’Eglise orthodoxe, en particulier russe, et en écoutant ce que leur conscience leur dicte de faire à l’égard de leur patrie terrestre, la Russie, et de leurs frères.
Ils sont affligés non seulement par les privations, mais surtout par l’incompréhension et l’attitude de leurs frères, les représentants des autres Eglises orthodoxes.  Tandis que l’Eglise Hors-Frontières continue de suivre le chemin approuvé, en leur temps, par les Primats de toute l’Eglise orthodoxe, ceux qui en sont les successeurs ont considérablement changé leurs positions.  On cherche à l'entraver et l’on soumet ses hiérarques et son clergé à des exigences, que leur conscience et leur devoir pastoral ne permettent pas d’accepter.
Lorsque la Russie était prospère, elle aidait ses frères orthodoxes moins favorisés, en particulier ceux qui étaient sous le joug des hétérodoxes.  Non seulement l’Etat participait à cette aide, mais aussi le peuple tout entier.  On priait pour eux dans les églises et dans les maisons.  Les prières du soir, imprimées dans les livres de prières, se terminaient par cette supplication : " Que le règne impie des agaréniens s’effondre et qu’il soit vaincu par le tzar orthodoxe; affermis la foi véritable et relève le front des chrétiens orthodoxes".  Ceci était imprimé tant dans les livres d’église que dans les livres de prières pour le peuple, chacun peut le vérifier.  Chaque jour, cette prière était dite par une multitude de Russes à travers toute l’étendue du pays.
Aujourd’hui, ne faut-il pas prier encore plus pour le renversement d’un pouvoir non seulement impie, mais athée, qui persécute l’Orthodoxie et en général toute forme de foi en Dieu ?  Et si les chrétiens d’autres confessions prient pour cela, n’est-ce pas le premier devoir des orthodoxes d’en faire autant, en particulier des fils de la Russie asservie, qui vivent en dehors de ses frontières ?
Tant celui qui est en captivité que celui qui est en liberté devra répondre devant le Grand Pontife, le Juste Juge.
Afin qu’il nous dise : « Tu as été fidèle en peu de choses... entre dans la joie de Ton Maître ».

"Izdanie obschestva Pravoslavnoïe Delo"Genève 1960
Traduction : diacre André  et Geneviève Meillassoux

* St. Nicolas du Japon, lui-même glorifié le 17/30 janvier 1994 par L'Eglise Russe Hors-Frontières (cf. sa vie dans la Voie Orthodoxe N°5 , pp. 2-7)

 

 

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