Le réconfort par l'effort ascétique

 


Le réconfort
par l'effort ascétique.

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 La vie humaine est une chaîne de maillons où alternent le travail et le repos. Il y a toujours plus de gens qui aiment se reposer que de gens qui préfèrent travailler. Et c'est juste, il est plus propre à la nature humaine de tendre au réconfort qu'à l'effort. Ainsi l'homme aime la beauté du corps, la beauté dans l'art, dans la musique, dans les belles-lettres, la gloire, l'honneur et le respect lui en imposent, les gens préfèrent la bonne chère, les boissons raffinées, la commodité, l'abondance, de beaux intérieurs et de beaux vêtements; ils aiment les fêtes et les solennités, les réunions amicales, les vacances et les voyages dans des lieux nouveaux, le confort et le repos, les réjouissances, les distractions de toutes sortes, les jeux et les spectacles; ils apprécient la paix, la santé, le silence bienfaiteur, le beau temps, un climat agréable. En un mot, l'homme vise à la béatitude, il la recherche comme une manifestation naturelle de la vie, ayant gardé au fond de sa conscience le souvenir du séjour délicieux des premiers hommes dans le merveilleux jardin d'Eden.
 Cependant, bien qu'il atteigne dans sa vie divers degrés de bien-être terrestre, l'homme découvre bien vite qu'une vraie satisfaction est inaccessible sur terre. Plus l'homme s'entoure de confort et de jouissances immédiates, moins il est satisfait et il se met à chercher de nouveaux délices. Arrivant à se convaincre de ce que les biens terrestres et la santé sont instables et changeants, l'homme connaît l'angoisse. Et c'est cela le regret du paradis perdu, qui donne à l'homme la capacité de ne pas perdre contact avec le ciel.
 Si on examine les aspirations vitales de l'homme, on en arrive à la conclusion que d'une façon générale sa longue vie de travail pèse à l'homme, qu'il perd souvent patience, qu'il peut tomber dans le désespoir. Les gens trouvent bien rarement une vraie satisfaction dans un travail qu'ils aiment, peinant jusqu'à n'en plus pouvoir. Seules quelques rares personnes peuvent se passionner pour leur métier jusqu'à l'oubli de soi-même, et restent constamment guidées par leur idéal et non pas le profit, ayant une réelle vocation, le sens du devoir et des responsabilités.
 Si on se limitait aux observations que je viens d'exposer, on pourrait en somme tomber dans le pessimisme, reconnaître que les aspirations humaines sont sans issue. De semblables conclusions se justifieraient, si l'esprit humain se limitait au terrestre. Mais la philosophie de la vie chrétienne n'est pas telle : elle voit l'achèvement de cette vie non pas sur la terre avec toutes ses vissicitudes, mais dans l'éternité inébranlable.
 Cela ne signifie pas le moins du monde, que le christianisme perde le contact avec notre vie provisoire sur terre, - au contraire le christianisme régule la vie terrestre selon des idéaux éternels, donnant sa place à la satisfaction naturelle des besoins, au repos mérité et à la quiétude. Mais le christianisme, c'est, en tout premier lieu, une lutte intérieure, la consolation dans l'éternité, c'est la récompense pour les exploits et les tribulations terrestres, supportées de façon désintéressée, uniquement par dévouement et amour pour Dieu, ce dont témoigne le Sauveur Lui-même : Le Royaume des cieux est forcé et ce sont les violents qui s'en emparent  (Matt. 11 : 12). La beauté et la justification de l'exploit chrétien réside en ceci que c'est par lui que s'ouvre la voie vers le perfectionnement spirituel : Va, vends tout ce que tu as, et distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; et viens, prends ta croix, et suis-moi  (Marc 10 : 21).  Ce n'est pas celui qui  dit : Seigneur ! Seigneur ! qui entrera dans le Royaume des Cieux, mais celui qui fait la volonté de Mon Père qui est aux Cieux (Matt. 7 : 21). Demandez et vous recevrez; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous ouvrira (Matt. 7 : 7). Beaucoup des premiers seront les derniers, et les derniers les premiers  (Matt. 19 : 30).
 Nous voyons la réalisation de cet idéal dans la vie des saints. Dans la vie nous nous inspirons de leur exemple, nous nous nourrissons de leurs écrits, leur flamme nous anime, leur miséricordieuse disposition d'esprit nous inspire, ils nous enseignent la patience et l'humilité. Ce dont témoigne avec éloquence le staretz Silouane de l'Athos : « Il semble à beaucoup que les saints sont loin de nous. Mais ils sont loin de ceux qui s'en sont eux-mêmes éloignés et ils sont très proches de ceux qui gardent les commandements du Christ et ont la Grâce de l'Esprit Saint. Dans les cieux tout vit et est animé par l'Esprit Saint. Mais sur la terre aussi il y a le même Saint Esprit. Il vit dans notre Eglise; Il vit dans les sacrements; Il est dans l'Ecriture Sainte; Il est dans l'âme des croyants. L'Esprit Saint nous unit tous, et c'est pourquoi les saints nous sont proches; et lorsque nous les prions, c'est dans l'Esprit Saint qu'ils entendent nos prières, et nos âmes sentent qu'ils prient pour nous ».
 C'est dans l'expérience de l'Eglise, lors des offices divins, que se manifeste le plus fortement le lien harmonieux entre l'exploit et la consolation. En s'associant à la vie liturgique de l'Eglise, les croyants apprennent à accomplir l'exploit de la prière, d'une durée et d'une profondeur si particulières dans l'Eglise orientale, en vue d'acquérir un vrai réconfort spirituel, selon l'enseignement du Sauveur : En vérité , Je vous le dis : là où deux ou trois seront réunis en Mon Nom, je serai au milieu d'eux  (Matt. 18 : 19-20).
 L'apothéose de la consolation spirituelle, dans la vie terrestre de l'Eglise, est constituée par la divine eucharistie, cette union réelle et mystérieuse de l'homme avec Dieu. Mais il est impensable que notre esprit puisse instantanément recevoir la consolation suprême, sans préparation adéquate, sans dominer l'esprit de révolte de ce monde, sans que se manifeste la componction spirituelle. Réellement, comment peut-on prendre part à la Cène, célébrée en souvenir et sur la promesse du Seigneur Jésus Christ Lui-même, sans être préparé ni par le vêtement de l'âme, ni par la pacification de la conscience, ni par la conscience de sa propre indignité, ni par le sentiment de l'immense utilité de ce sacrement ?! Est-ce qu'un instrument de musique peut donner des sons purs et beaux sans avoir été préalablement accordé ?
 Se souvenant de ce que le jour, dans la tradition biblique et dans celle du Nouveau Testament, se calcule à partir de la veille au soir, la Sainte Eglise enjoint aux croyants d'entrer dans l'esprit du sacrifice eucharistique par un office de préparation la veille au soir de la liturgie. A l'office du soir se manifeste dans toute sa beauté spirituelle la vraie vie en Dieu et avec Dieu, quand ceux qui prient “s'accordent” dans l'attente tremblante de l'union avec le Seigneur dans la communion au Saint Corps et au Précieux Sang du Christ. Et même si quelqu'un ne communie pas à la liturgie, cela ne l'empêche pas pour autant de participer à l'esprit eucharistique, de revivre avec gratitude tout l'exploit salvateur de Jésus Christ. C'est que la liturgie nous remémore d'une façon bouleversante et nous fait revivre avec compassion toute la vie de notre Seigneur et Sauveur : depuis la crèche de Béthléem, à travers la mort sur la croix au Golgotha, la résurrection d'entre les morts et l'ascension au ciel, jusqu'à la descente de l'Esprit sur les Apôtres, et par eux sur tous les croyants au sein de l'Eglise du Christ. Et depuis les temps apostoliques, les croyants sont appelés chaque dimanche à participer à “la petite Pâque”, au repas eucharistique.
 Les meilleurs de ces “participants” ont non seulement composé les livres liturgiques, mais ils sont devenus des champions de sainteté, prêts à souffrir et même à aller au martyre pour garder leur fidélité au Christ. Ils priaient toute la nuit et avec le lever du soleil - image de la lumière et de la chaleur - ils communiaient au Saint Corps et au Précieux Sang du Christ. C'est pourquoi il n'est pas étonnant que l'actuel office du soir soit plein de la commémoration de l'exploit des saints ainsi que du souvenir des grands événements de la vie du Christ et de la Mère de Dieu.
 Souhaitant aider ses enfants fidèles à rester dans le cercle de cette sainteté transmise par héritage, la sainte Eglise, avec sollicitude et à l'avance, la veille au soir, les introduit dans un esprit de piété, dévoilant à leur regard spirituel la vie, les travaux, les préceptes, les exploits et l'ardeur des saints qui sont entrés dans la gloire éternelle de Dieu. Quelle beauté, quelle grâce que d'avoir la bienheureuse possibilité d'associer son esprit rebelle et insubordonné à l'esprit paisible des saints de Dieu, de trouver en lui le calme ! Quelle joie d'apprendre auprès des saints le bien, la patience, la foi en l'aide de Dieu ! Quel bonheur que d'entendre comme de leur bouche les paroles harmonieuses de la vie en Dieu ! Et  si l'on y pense, cette joie n'est que l'ombre de cette grande félicité, que le Christ a préparée pour ceux qui L’aiment.
 Les chrétiens modernes qui refusent la voie de l'exploit - et ne recherchent que la consolation, se volent constamment eux-mêmes, se privent de la Grâce. Il est indiscutablement bien que nos fidèles remplissent les églises les dimanches et les jours de fête pour la divine liturgie. Et nous nous en réjouissons. Mais le cœur saigne lorsqu'on voit que les chrétiens orthodoxes de notre époque se sont détournés de la participation à l'exploit des saints, ne viennent plus aux vêpres la veille des dimanches et des jours de fête. Les allégations de fatigue, de mauvaise santé ou de difficultés de transport ne sont pas concluantes, ne serait-ce que parce que c'est le samedi que les paroissiens se réunissent en grand nombre aux soirées dansantes ou aux concerts. Beaucoup d'orthodoxes viennent également nombreux aux offices pour les morts. Si cet office est fixé juste avant les vêpres, on observe un spectacle tout simplement choquant : les “priants” qui avaient rempli l'église pour l'office funèbre s'en vont dès que la cloche se met à sonner pour les vêpres. Ne restent que quelques personnes, toujours les mêmes.
 Reconnaissons que l'indifférence des fidèles d'aujourd'hui aux offices du soir n'est pas autre chose que l'amenuisement de la conscience chrétienne, la perte de l'esprit de piété et du sentiment de Dieu, l'aliénation progressive de l'Eglise.
 Nos paroissiens n'ont pas besoin de faire un grand effort pour reconnaître qu'il ne peut y avoir de vrai réconfort sans exploit, de joie réelle sans préparation. Non, en vérité ! Comme il ne peut y avoir de fumée sans feu, d'ombre sans lumière ! On peut ajouter que la confession occuperait alors la place qui lui convient, la veille ; et non avant la liturgie ou, ce qui est tout à fait inacceptable, pendant que le chœur chante un verset, lors de la communion du clergé, juste avant la communion des fidèles.
 Chrétien orthodoxe, lorsque tu liras ces lignes, réfléchis ! Est-ce que ces églises vides aux offices du soir ne te font pas mal au cœur ? Interroge-toi : que doivent ressentir les prêtres qui célèbrent dans des églises vides ? Quel doit être le sentiment d'abandon des quelques personnes qui participent à ces offices ? Où est notre fraternité en Christ ? En vérité que l'homme est futile, comme il est fou de préférer à tout le repos et les plaisirs au lieu de se préoccuper de sauver son âme, de la sauver par des actes de piété, la disposition à la prière et l'exploit spirituel !
 Que le Seigneur Dieu libère les chrétiens qui cherchent leur salut du désintérêt pour les offices, désintérêt si répandu de nos jours, et qu'Il leur accorde de prendre, dans un élan de reconnaissance pour le sacrifice du Christ qui nous a rachetés, le chemin de la plénitude de la prière afin d'être jugés dignes du réconfort suprême et éternel, celui d'entendre la voix bien-aimée du Seigneur : Bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton maître  (Matt. 25:21).

                                                                                                          Archiprêtre Valéry Loukianov.

Traduit du russe par G. Yvanoff-Limant.
Pavoslavnaia Rouss N°2, Janvier 15/28, 1993.


 



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